Le livre du cercle

été
présents aux complies, il s’inquiétait. Que pouvait-il faire ? La réponse était
la même que d’habitude : il n’y avait rien à faire. Jacques était chevalier et
il n’était que sergent. Il se disait parfois qu’il comprenait ce que Garin
ressentait. D’autres fois, il se demandait ce qui était le pire : un oncle qui
vous maltraite, ou un père qui refuse de vous parler.

 
    Chapitre 5
    Nouveau Temple,
Londres
     
    15 septembre 1260
après J.-C.
     
    Hasan
s’assit sur un tabouret tout en examinant la pièce.
    Jacques
sourit en le voyant refuser la coupe qu’il lui tendait.
    — C’est
de l’eau, précisa-t-il.
    Hasan
sourit à son tour et accepta la proposition.
    — Merci,
je n’ai pas souvent l’occasion d’être avec des amis. Il est dur de perdre
l’habitude de décliner ce qui est offert, même quand ça l’est de bon cœur.
    Il but
une lampée pour éliminer de sa gorge la poussière du voyage.
    Jacques
écoutait attentivement, l’accent rendant les paroles de Hasan difficiles à
comprendre.
    — J’espère
que tu ne m’en veux pas, continua Hasan. Je ne t’avais pas prévenu de ma visite
et il est bien tard, mais j’étais pressé par le temps. Je suis arrivé ce soir à
Londres.
    Jacques
balaya d’un geste ces mots d’excuse.
    — Qu’est-ce
qui t’amène ici, Hasan? Je n’ai pas entendu parler de frère Everard depuis un
bon moment.
    Hasan
reposa la coupe sur la table.
    —
Le Livre du Graal a été volé.
    Jacques
était habitué au franc-parler de Hasan. Mais si ç’avait été un choc de le voir,
ce n’était rien comparé au bouleversement que provoqua en lui cette annonce. Il
réprima l’exclamation qui lui vint spontanément aux lèvres et demeura
silencieux un moment.
    — Quand
est-ce arrivé? finit-il par articuler. Et comment ?
    — Il
y a douze jours. Un clerc l’a pris dans la chambre forte de la commanderie.
    Jacques
passa nerveusement la main dans ses cheveux gris-blanc.
    — Le
trésorier a découvert l’un des deux officiers de garde inconscient. Une fois
réanimé, il a expliqué qu’il avait entendu du bruit dans la chambre forte et
qu’il était allé voir. C’est là qu’un de ses camarades, un jeune clerc du nom
de Daniel Rulli, l’a frappé avec une sébile jusqu’à ce qu’il perde conscience.
    — C’est
ce Rulli qui a pris le livre ?
    Hasan
hocha la tête.
    — Le
visiteur a ordonné qu’on fouille la commanderie, mais frère Everard pensait que
Rulli s’était enfui. Il m’a envoyé en ville le retrouver et je l’ai rattrapé
près du Grand-Châtelet.
    Hasan
expliqua à Jacques les dernières paroles que le clerc avait prononcées avant
d’être assassiné.
    — On
l’a contraint à voler ?
    — C’est
ce qu’il a dit.
    Jacques
fronça les sourcils.
    — S’il
disait vrai, nous devons supposer que l’assassin et celui qui l’a poussé à
voler Le Livre du Graal sont un seul et même homme. Ou au moins, qu’ils
travaillent ensemble, non ?
    — C’est
ce que je pense aussi. Rulli allait sûrement donner le livre. On peut l’avoir
tué pour l’empêcher de révéler où il allait, ou l’identité de son
commanditaire. Mais je ne parviens pas à comprendre pourquoi il ne l’avait pas
sur lui. Il l’a peut-être caché quelque part quand il a compris que j’étais à
ses trousses.
    — Où
il l’avait déjà transmis.
    — C’est
une autre possibilité. Malheureusement, je n’ai pas pu poursuivre son assassin.
Les gardes sont arrivés et j’ai dû m’enfuir.
    Sans
répondre, Jacques but une gorgée du vin qu’il venait de se servir.
    — Quand
je suis revenu à la commanderie, poursuivit Hasan, Everard a demandé au
visiteur la permission d’interroger le trésorier et les deux officiers. Ce sont
les seuls à avoir accès au coffre en dehors de Rulli et du visiteur. Mais ils
ne savaient rien. Nous avons aussi interrogé un camarade de Rulli, un sergent.
Il nous a dit que Rulli avait l’air soucieux depuis quelques jours, mais il ne
savait pas pourquoi et il a nié être au courant du vol. Même quand nous l’avons
menacé de l’incarcérer à Merlan.
    — Est-ce
que quelqu’un sait ce qui a été volé ?
    — Le
visiteur et les officiers savent seulement qu’il s’agit d’un document très
important appartenant à frère Everard. Rien de plus.
    — C’est
toujours ça.
    Jacques
vida d’un trait le reste de son vin.
    — Quand
les gardes sont venus à la commanderie nous informer du meurtre de Rulli,