Le livre du cercle

le
visiteur a fait croire à un vol d’argent. Le sénéchal du Temple et le
connétable du roi ont mené l’enquête conjointement, mais elle n’a abouti à
rien.
    — Le
roi a pris l’affaire au sérieux s’il a fait mener l’enquête par le plus haut
dignitaire de sa justice.
    — Le
visiteur a insisté.
    Jacques
alla se resservir du vin.
    — Le
coffre de Paris contient de nombreux trésors d’une valeur inestimable. En
comparaison, le livre ne vaut pas beaucoup. A-t-on pris autre chose ?
    — Rien
du tout.
    Hasan
ne quittait pas le chevalier des yeux.
    — Puis-je
parler franchement, frère ?
    — Bien
sûr.
    — Aussi
périlleuse que soit la situation, je doute que celui qui est en possession du
livre puisse en tirer quelque chose. Pour un lecteur ordinaire, ce n’est qu’un
livre autour de la quête du Graal. Peu orthodoxe, mais c’est tout.
    — Peu
orthodoxe ? répéta Jacques avec une moue dubitative, tout en se rasseyant.
C’est un mot bien faible pour parler de rites sacrificiels et de la profanation
de la Croix. Tout ce qui va à l’encontre de l’Église est considéré comme
hérétique, Hasan. J’imagine que tu es au courant de ce qui est arrivé aux
cathares.
    Hasan
acquiesça. Il n’était pas en Occident quand la croisade contre les cathares
avait commencé, mais il connaissait l’histoire de cette secte religieuse qui
s’était répandue dans le sud du royaume de France. Ils reconnaissaient deux
dieux, l’un d’une bonté suprême, l’autre étant le mal absolu. Leur propre
doctrine ne les empêchait pas d’adhérer à l’Ancien et au Nouveau Testament, mais
ils croyaient qu’il s’agissait d’interprétations allégoriques plutôt que
littérales. Pour eux, c’est le dieu du mal qui avait créé l’univers. Ils
considéraient donc que Jésus n’était pas un véritable humain, le dieu bon qui
transcendait la Terre corrompue ne pouvant en aucun cas en faire partie.
    Bien
entendu, cette conception s’opposait à celle de l’Église. Quand leur
enseignement commença à se répandre et à gagner en popularité, celle-ci les
déclara donc hérétiques. La croisade avait cette fois pour théâtre le sol
européen. Il fallut trente-six années pour exterminer tous les membres de la
secte. Le coup fatal aux cathares avait été porté seize ans plus tôt, quand la
dernière grosse citadelle en leur possession était tombée. En tout, on avait
brûlé deux cents hommes, femmes et enfants. Pour l’Église, l’hérésie était une
maladie qu’il fallait éradiquer, quitte à amputer un membre pour empêcher
l’infection de se répandre dans le reste du corps.
    — De
plus, continua Jacques en posant sa coupe, je ne crois pas que le livre soit
entre les mains d’un lecteur ordinaire. Celui qui a forcé le clerc à le voler
doit savoir qu’il appartient au Cercle. Sinon, pourquoi voler le livre plutôt
que tous les trésors du coffre ?
    — Mais
seule une poignée de frères du Temple est au courant.
    — Il
y a toujours eu des rumeurs.
    — Des
rumeurs, oui, mais rien de plus, répondit prudemment Hasan. L’Âme du Temple est
une légende. Pendant toutes ces années, personne n’a été en mesure de prouver
son existence.
    — Parce
qu’il n’y a aucune preuve à découvrir, sauf à faire parler ceux qui ont fait
serment de mourir plutôt que de divulguer notre secret. Ou à dérober ce fichu
livre.
    Jacques
se rassit avec lassitude.
    — Tous
ceux qui ont quitté le Cercle après notre dissolution ne sont pas morts. Il se
peut qu’ils ne se sentent plus liés par leur serment. Ou peut-être l’un d’entre
eux a-t-il découvert que l’Anima Templi continue son œuvre sans lui. Ou encore,
le livre a été volé pour servir de preuve contre nous, ou pour nous faire
chanter.
    Jacques
secoua la tête.
    — Ne
te méprends pas, Hasan. Le péril sera grand tant que nous n’aurons pas remis la
main sur le livre. Si nos plans étaient dévoilés, le Temple pourrait être
détruit, les frères du Cercle subiraient le pal et tout ce que nous avons
construit depuis un siècle serait réduit à néant. Peux-tu imaginer ce que
ferait l’Église si elle découvrait notre but ultime ?
    Jacques
porta la coupe à ses lèvres, mais il la reposa sans boire.
    — Sans
la puissance du Temple, sans les ressources en hommes et en argent qu’il nous
fournit à son insu, nous ne pourrons pas achever notre œuvre.
    Pensif,
Hasan demeura silencieux quelques instants.
    — Si
le voleur