Le livre du cercle
secondes, le bout incandescent ne diffusant
qu’un pâle halo incapable de repousser complètement les ténèbres. Au sol était
posée une gamelle remplie d’un brouet sur lequel une mince pellicule de peau
ridée s’était formée. Assis, le dos appuyé contre le mur, un bras devant le
visage pour se protéger de la lumière, l’autre enchaîné par le poignet à un
anneau rivé au mur, Garin leva les yeux.
Au
début, Will ne vit rien de particulier dans son allure. Garin semblait dans le
même état que d’habitude. Ses cheveux blonds avaient tourné au gris à cause de
la poussière et du manque de lumière, et ils lui tombaient en écheveaux emmêlés
sur la poitrine, où ils ne se distinguaient plus de la barbe, elle aussi longue
et crasseuse. Sa chemise et ses chausses - les seuls vêtements qu’on lui avait
laissés - ne ressemblaient plus à rien, l’humidité ayant depuis longtemps
attaqué le tissu. Son torse était creux et ses os saillaient à travers sa peau
blafarde. Il s’était presque entièrement rongé les ongles de sa main libre,
mais ceux de la main entravée, attachée à une hauteur telle qu’il pouvait tout
juste s’accroupir sur le baquet de toilette, ressemblaient à des griffes. Garin
laissa retomber sa main et la lumière le fit cligner des yeux avec une grimace
de douleur. Will comprit alors de quoi lui avait parlé le garde.
Il
avait entendu parler de la léonardie - la maladie qui avait frappé Richard Cœur
de Lion au cours de sa campagne - mais il n’avait jamais rencontré personne qui
en souffrait. Outre qu’elle épuisait les hommes qui la contractaient, cette
affection couvrait le corps de plaques couleur rouille. Le visage de Garin
était ravagé. Ses joues et son front arboraient une teinte cuivrée et la peau en
certains endroits se craquelait, s’effritait et pelait. De ses lèvres éclatées
suintait un mélange de sang et de pus, et l’une de ses paupières crevées avait
formé une croûte en obstruant l’œil. Ses mains et ses bras portaient également
les marques de la maladie.
— Mon
Dieu, murmura Will en plaçant la torche dans un support fixé au mur et en se
penchant sur Garin.
Il
essaya d’ignorer l’odeur putride émanant du baquet. Garin lança un regard
accusateur à Will à travers les fentes plissées de ses yeux.
— Cela
fait des jours que tu n’es pas venu.
Will
ne précisa pas au chevalier que la moitié d’un mois s’était déroulée depuis sa
dernière visite.
— Je
suis désolé.
— Tu
es le seul qui me raconte ce qui se passe dehors.
La
voix de Garin était aussi imperceptible qu’une brise et ses lèvres bougeaient à
peine quand il s’exprimait, mais Will perçut clairement son agitation.
— La
dernière fois, tu m’as dit que le prince Édouard était arrivé. Qu’est-ce qui se
passe ? Il faut que je sache, Will. Il faut...
Il
poussa un cri perçant de frustration : en ouvrant trop la bouche pour parler,
il s’était déchiré la lèvre et du sang commença à perler par la gerçure.
— Je
suis là maintenant, répondit Will d’une voix apaisante. Je te dirai tout ce que
tu veux savoir.
Il
ramassa l’écuelle.
— Mais
d’abord, tu dois manger.
— Je
vais mourir, Will, articula doucement Garin.
— Ne
dis pas de bêtises. Le roi Richard a eu la léonardie, il n’en est pas mort.
Will
s’approcha de Garin en lui tendant la gamelle.
— Il
faut juste que tu manges et que tu te reposes.
Garin
repoussa le plat d’un geste de la main.
— Ça
fait trop mal.
Will
observa les plaies autour de sa bouche, puis le bord ébréché de la gamelle.
Assis jambes croisées devant le chevalier, il enfonça ses doigts dans le ragoût
et en extirpa un bout de viande nerveux. Puis, en faisant attention de ne pas
les toucher, il poussa prudemment la viande entre les lèvres décharnées de
Garin.
Dans
les premiers temps de son emprisonnement, Will était rarement venu lui rendre
visite dans sa geôle, et s’il l’avait fait, c’était uniquement parce que Garin
avait supplié à plusieurs reprises les gardes de le lui demander. Bien qu’une
partie de son esprit blâmât toujours Garin pour ce qui lui était arrivé dans la
maison de passe, il avait fini par prendre en pitié le chevalier, qui payait le
prix fort pour un crime dont il n’était pas l’unique responsable.
Au
fil du temps, ses visites s’étaient faites plus fréquentes, jusqu’à ce qu’elles
deviennent une de ses obligations
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