Le livre du cercle
commence à
parler au grand maître Bérard quand ils ont l’occasion de se rencontrer, mais
ça ne mène à rien. Les nobles sont trop engoncés dans leurs vieux arrangements
et leur propre politique pour voir au-delà de leurs intérêts. Combien de
citadelles allons-nous encore abandonner à Baybars ? L’Anima Templi ne pourra
pas remplir sa mission si nous ne restons pas en Terre sainte. Comment se
fait-il qu’Everard ne comprenne pas ça?
— En
as-tu parlé avec lui ?
— Je
n’arrête pas de lui demander ce qu’il compte faire et comment nous allons
survivre assez longtemps à cette guerre pour obtenir la paix. Mais il ne dit
rien de ce qu’il a en tête. Il me dissimule toujours des choses. Je sais qu’il
a un contact haut placé chez les Mamelouks, un contact que mon propre père a
trouvé, mais il ne me dira pas qui c’est.
Frustré,
Will secouait la tête.
— Il
ne me laisse pas d’autre choix, conclut-il en s’emportant.
— C’est
moi que tu essaies de convaincre ou c’est toi-même?
Will
jeta un coup d’œil au chevalier. Il avait réfléchi à son plan depuis longtemps,
mais il lui avait fallu dix-huit mois pour le mettre à exécution, le temps de
trouver les contacts nécessaires et de détourner suffisamment d’argent des
caisses secrètes de l’Anima Templi. Il avait plus d’une fois livré bataille
avec sa conscience durant cet intervalle.
— Ma
décision est prise, dit-il finalement. Je crois de tout mon cœur que c’est la
seule solution. Je ne voulais pas venir ici et me retrouver dans cette guerre,
mais maintenant que j’y suis impliqué, la seule chose à faire est ce que me
dicte mon cœur.
— Pour
ce que ça vaut, je crois que tu as raison. J’ai toujours pensé que le but de
l’Anima Templi était impossible à atteindre. Depuis le premier jour où tu m’en
as parlé.
— Quand
ce sera fait, les choses changeront, j’en suis certain. Les nobles auront
davantage d’enthousiasme à l’idée de se battre et le prince Édouard réussira
peut-être à les rallier. Nous pourrons commencer à reconquérir nos terres et
nos domaines.
Il
faisait depuis des mois le même rêve où il croisait l’esprit de son père dans
les rues désertes de Safed. Il voulait l’enterrer mais les corps décapités
étaient dans un tel état de décomposition qu’il était incapable de reconnaître
le sien. Ce rêve le hantait. Mais il allait bientôt cesser. Il enterrerait son
père, et alors il pourrait peut-être vivre en paix.
— Il
faut que j’y aille, fit Will en se levant. Je viendrai demain avec un
cataplasme pour tes plaies.
— Ne
fais confiance à personne pour t’aider à changer les choses, Will. Ne fais
confiance ni à Édouard ni aux nobles. Ne crois qu’en toi-même.
Will
hocha la tête. Enfin il frappa à la porte et, quelques instants plus tard, le
garde le fit sortir. Puis il s’éloigna de la tour, à moitié aveuglé par le
soleil brûlant de l’après-midi.
C’est
là qu’Everard le retrouva. Will fut surpris de voir le vieux prêtre, qui ne
quittait plus guère sa chambre, clopiner à travers la cour. Il commença à lever
la main pour le saluer, mais son geste s’interrompit quand il s’aperçut de
l’expression peinte sur le visage d’Everard. Will faillit reculer devant le
regard fulminant que lui jetait le prêtre. Everard continua à avancer de sa
démarche disgracieuse et, en arrivant près de Will, il l’attrapa par le manteau
de ses mains flétries.
— Espèce
d’idiot ! cracha-t-il en envoyant de la salive dans le visage de son ancien
sergent.
Will
saisit les poignets du vieil homme et tenta de se défaire de sa prise.
— De
quoi est-ce que vous parlez ?
— Ne
me raconte pas d’histoires ! Un garde du sénéchal t’a vu dans la taverne !
— Vous
me faites suivre ?
— Depuis
des semaines, répondit Everard d’une voix cassante. Tu es très occupé, dis-moi,
avec tes rencontres secrètes et l’organisation de ton plan. Je suis au courant
de tout !
— Comment?
murmura Will.
— J’ai
forcé le marchand pisan que tu es allé voir à tout me raconter. Il m’a expliqué
qui tu rencontrais. Tu peux y retourner et lui dire que tu annules l’accord,
quel qu’il soit.
— Non.
— Non
?
— C’est
trop tard, à moins que vous l’ayez arrêté.
Everard
ne répondit pas et Will comprit qu’ils ne l’avaient pas fait.
— Il
a déjà quitté la ville à l’heure qu’il est, expliqua-t-il.
— Alors,
prends
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