Le livre du cercle
routinières; une obligation que malgré lui il
attendait avec impatience. Il ne pouvait s’ouvrir ni à Everard ni à aucun autre
membre de l’Anima Templi des sentiments et des pensées qui bouillonnaient en
lui, pas plus qu’à des gens extérieurs au Cercle. Avec Garin, qui connaissait
l’existence de l’Anima Templi mais n’en faisait pas partie, il pouvait partager
certaines choses. Et ces derniers mois, son opinion avait pris de plus en plus
de valeur à ses yeux.
Parfois,
ils parlaient aussi des fantômes. Jacques, Owein, James, Adela, Elwen... Rarement
d’Elwen, toutefois. Un jour, Garin avait suggéré à Will de la contacter, mais
ce dernier s’y était opposé avec tant de véhémence qu’il n’en avait jamais plus
été question. Will avait depuis longtemps relégué Elwen au rang de souvenir,
imaginant qu’elle devait être mariée à quelque riche duc, et heureuse de
l’être. Mais c’était une blessure qui n’avait jamais vraiment cicatrisé et dont
il souffrait encore. De temps à autre, il lui arrivait d’envier les ténèbres de
l’existence de Garin, où des semaines s’écoulaient comme des journées.
— Et
voilà, dit-il d’un air bourru en poussant un autre bout de viande dans la
bouche de Garin, conscient de ce que la situation avait d’humiliant pour le
chevalier. Je ne vois pas de quoi tu te plains.
Le
prisonnier mastiqua lentement la viande infecte, puis il déglutit avec effort.
Il n’avait plus l’air d’un jeune homme de vingt-quatre ans, mais d’un vieillard
de soixante.
— Parle-moi,
insista-t-il d’une voix faible.
— Il
n’y a pas grand-chose à raconter. Tout le monde est bouleversé par la chute du
Krak. Le prince Édouard a envoyé des ambassadeurs demander de l’aide aux
Mongols, mais le grand maître Bérard et la plupart des membres du gouvernement
d’Acre s’attendent à une fin de non-recevoir. Le prince a tenu quelques conférences
avec les nobles pour tenter de les rallier, mais pour le moment il ne fait que
jeter de l’huile sur le feu.
— Qu’est-ce
que tu veux dire par là ? demanda Garin tout en mâchant difficilement un autre
bout de viande.
— Édouard
est comme tous ceux qui arrivent ici pour la première fois, soupira Will. Il ne
comprend pas encore.
Il
avait fait partie du groupe qui avait accueilli le prince, âgé de trente-deux
ans, à son arrivée avec un millier de chevaliers. Le roi Henri avait fait
valoir son mauvais état de santé pour être dispensé de prendre la Croix. Les
souverains d’Acre s’étaient félicités de l’envoi de nouvelles troupes et de
l’enthousiasme du prince. Du moins, pendant quelques jours.
— Il
pensait que la guerre se résumait à nous contre eux. Il a été furieux
d’apprendre que les Vénitiens vendent des armes à Baybars et que les Génois le
fournissent en esclaves, le tout sous l’égide des nobles d’Acre qui se
disputent le gâteau. Dire qu’en plus ils ont le culot de se plaindre quand
Baybars pénètre sur nos terres et' s’empare de nos propriétés avec ses armes
toutes neuves et ses soldats...
Will
pécha un nouveau morceau de viande en poussant un soupir ulcéré.
— Quoi
qu’il en soit, tout ça n’aura bientôt plus aucune importance.
— Tu
as réglé les derniers détails ? lui demanda Garin en faisant signe qu’il
n’avait plus faim.
Will
reposa la gamelle et lécha la sauce au bout de son doigt.
— Oui.
Je l’ai rencontré aujourd’hui.
Garin
scruta son visage.
— Eh
bien, il ne fait aucun doute que tu t’es habitué au danger.
— Je
croyais que tu étais d’accord avec mon plan ?
— Tu
sais bien que je le suis. Je l’ai toujours été. Mais si le grand maître Bérard
découvrait ce que tu fais au nom de l’Ordre, disons que nous serions amenés à
nous voir beaucoup plus souvent. Sans parler de ce qu’Everard et l’Anima Templi
te feraient s’ils l’apprenaient.
— J’ai
essayé de faire les choses à leur manière, répondit Will en s’animant soudain.
J’ai fait tout ce qu’Everard m’a demandé. J’ai noué des alliances avec des
chevaliers des autres ordres, obtenu les faveurs des nobles de la haute cour,
je me suis introduit auprès des intellectuels juifs les plus influents et j’ai
trouvé des informateurs musulmans. J’admets que l’Anima Templi a fait des
progrès substantiels en quelques années, mais j’ai l’impression que tout ça
reste à la surface. D’accord, le grand maître des Hospitaliers
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