Le livre du cercle
buvant une gorgée de vin. Le mois dernier, j’ai commandé au meilleur
artiste d’Angleterre de recréer la chute de Jérusalem dans mes quartiers
privés. C’était l’âge d’or de la chevalerie, quand les fraternités étaient des
Ordres de renom et que des hommes comme Godefroy de Bouillon marchaient sur les
traces de Notre-Seigneur Jésus-Christ, se sacrifiant pour la gloire de Dieu et
de la Chrétienté. Qui sait, ajouta-t-il sèchement, peut-être des jours aussi
glorieux pourraient-ils revenir.
Humbert
leva les sourcils.
— Il
me semblait que l’argent que nous vous avons prêté était destiné à des
croisades en Palestine, pas aux murs de votre palais.
— Ne
vous tourmentez pas pour votre argent, Pairaud, il est utilement dépensé. Vous
vous souciez trop de ces choses. Le Temple commerce avec presque tous les pays,
fait payer aux pèlerins la traversée vers la Palestine, accepte les donations
des nobles et des rois. Et en matière de prêt, vous demandez presque autant
d’intérêt que les juifs !
Le
roi planta son regard dans celui de Humbert.
— Je
crains que le nom de Pauvres Soldats du Christ, par lequel vous aimez qu’on
vous appelle, ne vous égare.
— Le
Temple utilise tous les moyens à sa disposition pour générer des fonds. Il le
faut bien si nous voulons continuer à nous battre au-delà des mers. Nous y
sommes obligés pour réaliser le rêve de tous les hommes, des femmes et des
enfants de la Chrétienté depuis deux siècles : prendre Jérusalem aux Sarrasins
et faire de la Terre sainte un bastion chrétien. En tant que moines, nous
prions pour y parvenir. En tant que soldats, nous fortifions nos garnisons en
Outremer. Et en tant qu’hommes, nous produisons et vendons tout ce que nous
pouvons. Si nous ne le faisions pas, qui le ferait, sire ? L’Occident peut bien
rêver, mais nous sommes peu nombreux à tenter de réaliser ce rêve.
— Vous
vous cachez derrière votre piété, répliqua Henri d’un ton cassant. Chacun sait
que le Temple, avec toutes ses propriétés, se construit un empire ici, en
Occident. Un empire que le roi lui-même ne contrôle plus dans son propre
royaume !
Le
silence envahit la cour un moment, avant que ne s’élève la voix aimable du
prince Édouard.
— Avez-vous
des nouvelles de ce qui se passe en Orient, maître des Templiers ? Votre
dernier rapport nous informait que les Mongols avaient attaqué Bagdad et
plusieurs autres villes. Faut-il penser qu’ils vont attaquer aussi nos
possessions ?
Henri
fronça les sourcils tandis que Humbert se tournait pour répondre.
— Nous
ne savons rien de plus, prince. Mais je ne crois pas que les Mongols
représentent un danger dans l’immédiat. Je suis davantage inquiet au sujet des
Mamelouks.
— Leur
chef, Qutuz, est un esclave ! Que pourrait-il bien nous faire ?
— Un
guerrier esclave, corrigea Humbert. Et d’ailleurs, il n’est plus esclave. Mes
frères et moi pensons que les Mamelouks représentent une menace sous-estimée en
Occident. Aujourd’hui, seuls les Mongols les empêchent de s’en prendre à nous.
— Les
Mongols sont bien plus puissants, répliqua sèchement Henri, et j’ai entendu
dire qu’ils utilisent des femmes et des enfants chrétiens comme boucliers dans
les batailles. Tant mieux si les Sarrasins les occupent.
— Pardonnez-moi,
sire, mais vous faites fausse route. Les Mongols sont puissants, mais l’Église
a déjà converti nombre d’entre eux. À Bagdad, ils n’ont tué que les
Sarrasins,
ils ont épargné les nôtres. Nos espions au Caire nous ont appris que les
Mamelouks s’apprêtent à marcher sur la Palestine, qu’ils vont faire la guerre
aux Mongols. Leur avant-garde sera dirigée par l’un de leurs généraux les plus
redoutables, Baybars.
— Baybars
?
— Ils
l’appellent l’Arbalète, expliqua Humbert, le visage soudain tendu. Il est
responsable de l’égorgement de plus de trois cents chevaliers du Temple. C’est
lui qui a conduit le massacre de Mansourah, la bataille qui a mis un terme à la
croisade de votre beau-frère, le roi Louis.
Derrière
lui, Will sentit Garin se raidir. Quand il avait quatre ans, Garin avait perdu
son père et deux frères dans cette campagne. Jacques avait été le seul de la
famille Lyons à survivre. Le regard de Will se porta sur le Cyclope, qui avait
l’air plongé dans ses pensées.
— Quand
Louis a pris Damiette, il a laissé son frère, Robert d’Artois, diriger ses
forces vers le sud de
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