Le livre du cercle
vit Jacques approcher à grands pas. Sans même remarquer Will et
Garin, Jacques fit savoir à Owein que la barge royale arrivait.
— Très
bien, frère, répondit Owein. Nous sommes prêts. À ta place, sergent, fit-il à
Will. Et souviens-toi, ne parle que si on t’adresse la parole.
— Oui,
maître.
Ils
allèrent se poster près de deux autres sergents qui portaient les boucliers de
leur maître. Garin s’installa aux côtés de Will, portant l’écu devant lui.
Jacques se tenait debout avec Owein au bord du carré de gazon. Sa posture
sévère et arrogante de Cyclope déplaisait à Will. Quelques instants plus tard,
les portes de la cour s’ouvrirent.
À la
tête de l’assemblée qui pénétra dans la cour se trouvait Humbert de Pairaud,
maître de l’Angleterre. C’était un homme de grande stature, trapu, avec
d’abondants cheveux noirs, dont la simple présence sembla remplir la cour. Le
roi Henri marchait à ses côtés. Ses cheveux cendrés étaient bouclés à
l’extrémité, et son visage parcouru de rides profondes. Le prince Édouard était
placé à droite de son père. Le jeune homme faisait presque une tête de plus que
tous les autres et, à vingt et un ans, il avait déjà l’allure d’un monarque. Un
homme au visage pâle et aux joues creuses les suivait, ainsi qu’une cohorte de
valets, de clercs et de gardes royaux.
Owein
s’avança au-devant d’eux et s’inclina, d’abord devant le maître, ensuite devant
le roi et le prince.
— Sire,
maître, c’est un honneur de vous accueillir au Temple. Monsieur le chancelier,
ajouta-t-il en saluant l’homme en noir d’un hochement de tête.
Henri
sourit mielleusement.
— Chevalier
Owein, comme il est bon de vous revoir.
Will
regarda Owein avec étonnement. Il ignorait que son maître avait déjà rencontré
le roi.
— Sire,
intervint Humbert d’une voix que l’âge et l’habitude d’exercer l’autorité
rendaient bourrue, asseyons-nous pour parler confortablement.
Des
domestiques étendirent sur la chaise destinée au roi un carré de soie écarlate.
Puis ils se retirèrent sous le cloître tandis que Henri s’asseyait et faisait
signe à la nuée de domestiques papillonnant autour de lui de s’éloigner.
— Je
ne m’explique toujours pas comment vous pouvez vivre dans un endroit aussi
modeste, maître. L’homme le plus fortuné d’Occident peut sans doute s’accorder
un peu de luxe ?
— Nous
rendons grâce au Seigneur, sire, répliqua doucement Humbert en s’asseyant à
gauche du souverain. Le confort de la chair n’est rien.
Will
recula pour permettre à Owein de s’asseoir à côté du maître. Édouard avait pris
place à la droite du roi. Trois chevaliers, dont Jacques, ainsi que cinq
clercs, deux accompagnant le roi et trois appartenant au Temple, se
partageaient les autres sièges. Il y avait encore une place vide. Will supposa
qu’elle était pour le chancelier, qui avait choisi de rester debout derrière le
roi, comme un corbeau perché sur le dossier de sa chaise.
Henri
regarda les plateaux chargés de fruits et les cruches de vin.
— Fort
heureusement, vous avez l’amabilité de nous pourvoir de plaisirs plus
terrestres.
Humbert
fit signe à un domestique de servir le vin.
— Le
Temple se fait un devoir de recevoir ses invités selon leurs propres habitudes.
Henri
posa sur le maître un regard agacé, puis ses yeux se perdirent au loin tandis
qu’on lui versait du vin. Des yeux, il fit le tour de l’assemblée et s’arrêta
sur Will.
— On
dirait que vos soldats sont plus jeunes d’année en année. Ou peut-être est-ce
moi qui vieillis. Quel âge as-tu, mon garçon ?
— Treize
ans et huit mois, sire.
Du
coin de l’œil, Will remarqua le regard que lui jetait Jacques.
--Ah
! fit Henri sans remarquer l’embarras du garçon. Écossais, à moins que mes
oreilles ne me trompent.
— Oui,
sire.
— Alors
tu as eu le privilège d’être le sujet de deux des plus belles femmes de ces
îles. Ma femme et ma fille, Margaret.
Will
opina mais se garda de répondre. Il n’avait que quatre ans quand Henri avait
marié sa fille, elle-même âgée de dix, au roi d’Écosse. Mais il avait grandi
avec le sentiment que lui avait transmis son père : grâce à Margaret, Henri
s’était assuré une emprise sur l’Écosse, un pays que les rois anglais
convoitaient depuis des siècles.
— C’est
dans la jeunesse que nous devons placer nos espoirs pour l’avenir, continua
Henri en
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