Le livre du cercle
chariot s’éparpillèrent.
Les soldats sur leurs montures cuirassées frappèrent avec leurs épées et leurs
massues hérissées de pointes, visant les têtes et les dos sans protection.
Affolés, courant dans tous les sens, les hommes tombaient sous les coups avant
d’être piétinés par les chevaux. Parvenant à éviter de justesse une épée qui
allait le décapiter, un paysan réussit à s’enfuir. Trois soldats le
poursuivirent en hurlant, excités par la chasse. Les soldats retournaient les
charrettes sur leur passage, déversant et écrasant au sol quantité d’olives qui
dégageaient leur puissant arôme.
Baybars
traversa le village au milieu des habitants en pleine débandade, observant ses
soldats essayer de rassembler les fermiers dans les rues.
Les
villages tels que celui-ci étaient nombreux en Palestine. Ils avaient d’abord
été habités par des coptes, puis par des chrétiens orthodoxes grecs et
arméniens dont les familles avaient travaillé la terre pendant des générations.
Quand les premiers croisés étaient arrivés d’Occident, la paix relative entre
les chrétiens autochtones et leurs souverains musulmans avait tourné au
conflit. Les princes et les ducs francs s’emparèrent d’Antioche, Jérusalem,
Bethléem et Hébron et ils possédèrent bientôt une grande partie du sud et du
centre de la Palestine, ainsi que le nord de la Syrie. Ils divisèrent alors cet
espace en quatre États dont ils firent leur nouvel empire : Outremer, le pays
au-delà de la mer. Ils avaient appelé ces États le royaume de Jérusalem, la
principauté d’Antioche et les comtés d’Édesse et de Tripoli. Les maisons les
plus puissantes de la noblesse occidentale se partagèrent le gouvernement de
ces provinces, tout en se soumettant au roi chrétien de Jérusalem. Les
musulmans avaient depuis reconquis certaines villes, notamment Jérusalem et
Édesse, mais pour Baybars ces victoires ne suffisaient pas.
— Quels
sont les ordres, émir ? lui demanda l’un des officiers.
Baybars
fit un large mouvement pour désigner les maisons.
— Brûlez-moi
tout ça. Et fouillez l’église pour voir si elle contient quelque chose de
valeur.
L’officier
s’en alla relayer l’ordre.
Les
Mamelouks mirent rapidement le feu aux chaumières en jetant des torches sur les
toits. Hommes, femmes et enfants ne sortaient des refuges où ils suffoquaient
que pour être capturés. Un bruit sourd parvenait du centre du village,
indiquant que les soldats enfonçaient les portes des bâtiments en pierre. Le
son du bois qui se brisait était suivi par des cris d’épouvante. Le chef du
village fut traîné dans la rue avec sa femme. Tandis qu’on les décapitait,
leurs enfants furent poussés, hurlant de terreur, jusqu’aux chariots.
Baybars
sauta de son cheval en voyant Omar s’approcher. Avec lui se trouvait un autre
officier bahrite, Kalawun, un homme de grande taille au visage osseux mais
plein de charme. Les deux hommes arrêtèrent leur monture et mirent pied à
terre.
— Je
commençais à me demander si vous alliez venir, dit Baybars.
— Nous
devons parler, émir, répondit calmement Omar.
— Pas
maintenant. Le sultan a des yeux partout. Il me surveille depuis Ayn Djalut, il
n’a plus confiance.
— Dans
ce cas, intervint Kalawun avec un demi-sourire, il est moins stupide que je ne
le pensais.
Les
trois hommes se tournèrent, une femme hurlait depuis une maison de l’autre côté
de la rue. Une partie du toit s’était effondrée, envoyant une gerbe
d’étincelles dans le ciel. La femme s’agrippait à un petit baluchon blanc. Un
soldat s’approcha, elle sauta sur le côté pour l’éviter mais il fut plus rapide
: l’épée plongea dans son estomac et en ressortit avec une giclée de sang. Elle
s’écroula en lâchant le baluchon et le soldat parut surpris d’entendre une
sorte de miaulement aigu. De la pointe de l’épée, il défit le drap blanc et
découvrit un bébé. Le soldat regarda autour de lui, l’air indécis, et il
aperçut Baybars.
— Émir?
lança-t-il en montrant l’enfant. Que dois-je en faire ?
— Tu
as l’intention de l’allaiter toi-même ?
Quelques
Mamelouks autour de lui se mirent à rire.
— Non,
émir, répondit le soldat en levant le bras.
Omar
détourna les yeux. C’était peut-être un bienfait de tuer cet enfant : s’ils
l’avaient laissé en vie, il serait mort d’insolation ou de faim. Mais personne
n’était obligé de regarder. Quelques
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