Le livre du cercle
Tu
as un devoir envers ta famille. Qui fera briller notre nom maintenant que ton
père et tes frères sont morts ? Mes jours de gloire sont derrière moi. Avec la
mort de son mari et de ses fils, ta mère a vu s’éloigner le rêve de redonner
rapidement à la famille la place qui est la sienne au sein du royaume. Elle ne
le montre pas, Garin, mais Cecilia pleure le soir, quand arrive le moment de se
coucher dans le taudis crasseux où elle habite maintenant. Elle a connu les
bijoux, les parfums, les robes ; tout ce qu’elle a maintenant, ce sont des
souvenirs.
Garin
refoula ses larmes. Il lisait tout cela sur le visage de sa mère : la colère,
la misère, l’amertume, la frustration. Il souffrait de l’imaginer pleurant
toute la nuit sur son lit, tressaillant au moindre bruit d’oiseaux sur le toit
ou de voisins faisant craquer les lattes du plancher. Dans le petit domaine de
Rochester payé par la rente que lui allouait le Temple, trois domestiques
cuisinaient et nettoyaient pour les pensionnaires, mais c’était une maigre
compensation pour l’armée de domestiques dont Cecilia avait disposé à Lyons, où
son père avait été un chevalier fortuné avant de rejoindre le Temple.
— Je
me battrai pour elle, je le promets, maître, murmura-t-il.
La
voix de Jacques s’adoucit un peu.
— Ta
mère et moi nous sommes dépensés sans compter pour que tu sois apte à porter ce
fardeau. Depuis que tu as six ans, Cecilia t’a obtenu les meilleurs précepteurs
qu’elle pouvait t’offrir, et aujourd’hui tu es sous ma tutelle. Tu peux
bénéficier de mon expérience si tu le souhaites.
— Je
le souhaite.
— Tu
es un bon garçon, dit Jacques en lui adressant un sourire étrange.
Garin
fut effrayé par l’expression de son visage. Il recula involontairement tandis
que son oncle se levait et faisait le tour de la table.
Jacques
posa les mains sur les épaules de son neveu.
— Je
sais que j’ai été dur avec toi ces derniers mois. Mais c’est pour ton bien, tu
comprends ça ?
—Oui,
maître.
— Tu
as de grandes opportunités ici, Garin, et je ne parle pas simplement de devenir
commandeur.
— De
grandes opportunités ?
Jacques
ne répondit pas. Desserrant son étreinte, il se tourna vers la fenêtre. Son
sourire avait disparu.
— Va-t’en,
maintenant. Je te verrai sur le terrain, à l’entraînement.
Garin
s’inclina.
— Merci,
maître.
Il
voulut partir. Ses jambes tremblaient.
— Garin?
— Oui,
maître ?
— Rends-moi
fier.
En
quittant la cellule vers ses quartiers, il ne se faisait pas d’illusions sur le
message que son oncle avait voulu lui faire passer. « Rends-moi fier », c’était
juste une autre manière de dire : « Ne me déçois pas. »
Le
dortoir était vide. Garin referma la porte et s’y adossa. Il lui semblait que
son nom était aussi lourd qu’une pierre accrochée à son cou.
Will
prit un raccourci par le cimetière derrière la chapelle pour se rendre au
quartier des chevaliers. Il sauta par-dessus le muret qui séparait la chapelle
du verger mais il s’arrêta net de l’autre côté : une jeune fille chantonnait
dans les parages. Il ne comprenait pas ce qu’elle disait mais il reconnaissait
la langue natale d’Owein. La fille marchait entre les arbres. Will avait
entendu parler de commanderies féminines au royaume de France, mais qu’une
femme pénètre dans l’un des principaux domaines de l’Ordre était strictement
interdit par la Règle. C’était comme si elle arrivait d’un autre monde. En
l’observant, il se souvint qu’il l’avait déjà vue dix-huit mois plus tôt, juste
après le départ de son père.
James
Campbell revenait alors d’un bref voyage durant lequel il avait escorté Humbert
de Pairaud jusqu’à la commanderie de Paris. Il avait convoqué Will pour lui
dire qu’il partait en Acre. Will l’avait supplié de l’emmener avec lui mais
James n’avait pas cédé. Le matin de son départ, trois semaines plus tard, il
avait pris la main de Will dans la sienne un moment, puis, sans un mot, avait
traversé la passerelle pour monter à bord du navire de guerre amarré au quai du
Temple. Will était resté assis sur le mur du quai jusque tard dans la soirée,
bien après que le vaisseau eut disparu.
Le
lendemain, il était devenu l’apprenti d’Owein. Le chevalier lui avait montré de
la sympathie, mais quelques jours plus tard lui aussi était parti. Durant tout
le mois où il fut absent, Will fut placé sous
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