Le livre du cercle

l’autorité de
    Jacques.
Will n’avait jamais compris pourquoi celui-ci ne pouvait le supporter, mais
pendant ces quelques semaines et, depuis lors, il lui avait fait comprendre
qu’il ne valait pas mieux à ses yeux qu’un insecte.
    Will
travaillait à l’écurie le soir où Owein était revenu. Il avait été surpris de
voir une fille qui avait à peu près son âge sur le destrier, derrière son
maître. Tous deux avaient été rejoints par Humbert de Pairaud à l’extérieur de
l’écurie. C’était une fille grande et émaciée. Elle avait sauté de cheval sans
demander d’aide. Sa robe de voyage, trop large de plusieurs tailles, flottait
autour d’elle. Ses cheveux étaient ramassés en chignon sur sa nuque et sa peau
très pâle était tendue sur des fossettes saillantes. Elle avait rappelé à Will
une créature sauvage et froide, scrutant tout de ses grands yeux profonds. Elle
avait même étudié le maître en détail, comme si elle en avait le droit. Le
lendemain matin, elle était partie. Quand Will lui avait demandé de qui il
s’agissait, Owein avait répondu qu’elle était sa nièce et qu’elle ne pouvait
plus rester à Powys, mais il avait refusé d’en dire davantage.
    Elle
semblait bien différente aujourd’hui. Svelte plutôt que malingre, les joues
pleines et la peau hâlée, à l’encontre de la mode, elle était resplendissante
de santé. Alors que la plupart des filles épinglaient leurs cheveux sous un
chapeau, les siens tombaient sur ses épaules et semblaient capter toute la
lumière du soleil. Comme Will marchait dans sa direction, la jeune fille leva
les yeux et cessa de chanter. Elle se redressa, tenant d’une main les jupons de
sa robe blanche remplis de fruits.
    — Bonjour.
    Will
garda le silence un moment, sans savoir quoi dire.
    — Tu
es la nièce d’Owein.
    — Oui.
    Ses
yeux, d’un vert plus pâle que les siens, étincelèrent.
    — Mais
je préfère que tu m’appelles Elwen. Et toi, qui es-tu ?
    — Will
Campbell, répondit-il, mal à l’aise face à ces yeux qui le détaillaient.
    — Le
sergent, dit-elle avec un léger sourire. J’ai entendu parler de toi.
    — Ah
bon ? dit Will sur un ton qu’il espérait nonchalant. Et qu’as-tu entendu ?
    — Que
tu viens d’Ecosse et que tu as toujours des problèmes parce que ton père est en
Terre sainte et qu’il te manque.
    — Tu
ne sais rien de moi, s’énerva Will, pas plus que ton oncle !
    Elwen
recula face à la colère du garçon.
    — Désolée,
je ne voulais pas te contrarier.
    Will
détourna les yeux, luttant contre son soudain emportement.
    — Tu
n’es qu’une fille, répondit-il en donnant mollement un coup de pied dans une
pomme tombée à terre. C’est normal que tu ne saches rien.
    — J’en
sais plus qu’un garçon qui passe ses journées à taper avec un bâton ! répliqua
Elwen.
    Ils
se regardèrent un instant en silence. Un cri les fit se retourner. Will jura
intérieurement en voyant le prêtre qui avait officié ce matin s’approcher
d’eux, sa robe noire ondulant sur l’herbe.
    — Au
nom de Dieu, que se passe-t-il ? cria le prêtre en regardant Will.
    — Rien,
nous ne faisons que parler, dit Will.
    Du
coin de l’œil, il vit qu’Elwen le regardait froidement.
    — Et
pourquoi, sergent, êtes-vous en train de parler alors que vous avez du travail
?
    Le
prêtre les regardait d’un air furieux.
    — La
discipline doit être respectée dans cette enceinte, sans quoi nous ne valons
pas mieux que des infidèles. L’indolence et la désobéissance mènent tout droit
au diable.
    Elwen
ne tenait plus en place.
    — Mais
enfin, nous...
    — Silence,
fillette ! la fit taire le prêtre, qui se tournait vers elle pour la première
fois. Nous n’avons accepté de vous héberger ici, à la demande du chevalier
Owein, qu’avec la plus grande réticence.
    — Mon
tuteur est malade. Je n’avais nulle part où aller.
    — Le
maître nous a assurés que vous ne sortiriez pas de vos quartiers. Votre
présence ici...
    Le
prêtre s’interrompit en voyant les fruits dans ses jupons qui laissaient
apparaître ses jambes bronzées. Will fut ravi de voir le rouge monter à ses
joues.
    — Et
qu’est-ce que c’est que ça ? bouillonna le prêtre en désignant les pommes. Vous
volez ?
    — Voler
? fit Elwen d’un air choqué. Bien sûr que non ! J’espérais que les cuisiniers
pourraient faire quelque chose de bon pour le maître.
    Troublé,
le prêtre ouvrit la bouche puis la