Le livre du cercle

dans sa chambre, sa mère qui avait vendu ses robes et ses parures pour
qu’il devienne sergent. Le contenu de la bourse qu’il tenait suffirait sans
doute à lui acheter toutes les parures qu’elle pourrait jamais désirer.
    — Redonnerez-vous
à ma famille son titre de noblesse?
    — Quand
j’en aurai le pouvoir, oui.
    Garin
regarda le prince droit dans les yeux. Il y voyait de l’intelligence, de
l’ambition et de l’opiniâtreté, mais pas de duplicité.
    — Je
veux simplement que ma mère soit heureuse, dit-il en soupirant, et rendre mon
oncle fier.
    — Je
sais combien il est dur de répondre aux espoirs de toute une famille, répondit
le prince d’une voix compréhensive.
    Garin
lutta contre les larmes qui cherchaient à se frayer un chemin.
    — Notre
bateau, l’Endurance, ne nous emmènera pas jusqu’à Paris, dit-il soudain, il
sera chargé de laine pour les royaumes de France et d’Aragon. L’Endurance
accostera à Honfleur, à l’embouchure de la Seine. Nous débarquerons avec les
joyaux et le navire poursuivra sa route vers le port de La Rochelle.
    — Tu
seras du voyage ? demanda gentiment le prince.
    — Oui.
Mon oncle s’est arrangé avec la commanderie de Paris pour qu’elle nous envoie
un bateau à Honfleur. Je pense que la reine passera la nuit dans un de nos
domaines près du port. Nous partirons le lendemain matin.
    — Tu
fais le bon choix, Garin.
    Le
jeune homme passa la langue sur ses lèvres et regarda le sol. Il se sentait
mal.
    — À
présent, dit brusquement Édouard, mieux vaut que tu retournes à la commanderie.
Ne change rien à tes habitudes. Si je veux te contacter, je t’enverrai Rook.
Veille à bien cacher l’or.
    Ils
se dirigeaient vers la porte quand Édouard prit soudain Garin par les épaules.
    — Et
si tu parles de notre rencontre, je nierai tout et je ferai en sorte que ta
famille et toi alliez voir ce que la vie future vous réserve depuis le London
Bridge.
    Garin
acquiesça promptement en repensant aux têtes décapitées qu’il avait vues près
du pont. Il ne souhaitait plus qu’une chose, partir.
    — Je
ne dirai rien, je le jure.
    Édouard
fit un signe en direction de la porte.
    — Attends
dehors, Rook va te raccompagner.
    Quand
il fut sorti, l’homme de main s’avança vers le
    prince.
    — Vous
croyez que nous pouvons faire confiance à ce rat ? demanda-t-il à voix basse.
    — Si
je ne le croyais pas, il n’aurait pas quitté cette chambre, répondit calmement
Édouard. Nous n’avons pas le choix. C’est notre seule opportunité de récupérer
les joyaux. Une fois qu’ils seront à Paris, je doute que nous les revoyions un
jour.
    — Croyez-vous
que ce nabot coopérera si nous avons besoin de lui ?
    — Je
le pense. Mais trouvez ce que vous pouvez sur sa famille, histoire d’en être
sûr. En attendant, nous devons dresser un plan. Cinq jours, ce n’est pas
beaucoup.
    — Soyez
sans crainte, les joyaux n’arriveront jamais à Paris.
    Édouard
sourit.
    — Je
suis content que mes efforts pour faire commuer ta sentence soient récompensés,
Rook. Envoyer au gibet un homme avec tes talents aurait été du gâchis.
    Rook
s’inclina.
    — Ma
vie vous appartient.

 
    Chapitre 9
    Nouveau Temple,
Londres
     
    18 octobre 1260 après
J.-C.
     
    Will
dégagea d’un mouvement de tête les cheveux qui lui tombaient dans les yeux. Il
était concentré sur le sergent trapu qui lui faisait face, un certain Brian.
Habitué aux épées en bois de l’entraînement, la lame en acier qu’il avait entre
les mains lui semblait lourde. Un plastron en cuir lui ceignait la poitrine, et
des peaux épaisses lui protégeaient les jambes et les bras. Il tournait autour
du sergent. Comme il ne l’avait jamais combattu, il lui avait fallu une manche
pour prendre sa mesure. Brian était puissant, mais lent.
    Ignorant
les encouragements venus des bords du terrain, Will laissa Brian charger et
para la première attaque, esquiva la seconde et, en se tournant, parvint à
frapper le dos de son adversaire. Les épées avaient été émoussées pour éviter
de trop graves blessures, mais la force du coup mit Brian à genoux. Will en
profita pour pointer sa lame sur la nuque du garçon. S’il avait appuyé, il
l’aurait tué. Des acclamations retentirent, qui firent s’envoler les oiseaux de
leur refuge dans les arbres voisins. Le héraut annonça la victoire de Will tandis
que Brian luttait pour se remettre debout et félicitait son vainqueur avant de
quitter le