Le livre du cercle
travers le brouillard. Puis la forteresse disparut et laissa la
place à des églises, des monastères, des hôtels particuliers, sans compter les
maisons en bois, la place du marché et les rangées d’échoppes et d’auberges
enchevêtrées en un réseau complexe de ruelles tortueuses.
Will
observait la foule sur la rive, les gens qui entraient dans les auberges ou
sortaient des églises comme autant d’abeilles s’activant dans une ruche. La
pluie était plus forte maintenant et elle n’épargnait ni les clochers des
églises, ni les neuf cadavres qu’on avait recouverts de leurs manteaux, blancs
pour les chevaliers et noirs pour les sergents. Le déluge les nettoyait de leur
sang et de petites mares rougeâtres se formaient autour d’eux. Elwen était
penchée sur Owein. Du sang commençait à souiller sa robe.
— Viens,
lui dit Will d’une voix douce.
La
tache écarlate s’étendait de plus en plus sur le tissu.
— Elwen...
insista-t-il. Le sang...
Elle
se leva en se grattant la joue avec dans les yeux un air malicieux.
— Will
Campbell, le tança-t-elle d’une voix moqueuse, ton maître n’est pas mort.
Il
se tourna vers Owein et constata qu’elle avait raison.
— Il
faut être prêt à se sacrifier si l’on veut être un Templier, dit Owein.
La
dague était toujours fichée dans sa poitrine.
— Tu
m’as tué, sergent.
— Non.
Tu
m’as tué.
Soudain,
Will comprit qu’Owein n’avait rien dit.
—
Je ne t’ai pas tué ! hurla-t-il, désespéré.
Mais
le chevalier n’était plus là.
Will
se tenait près d’un lac noir. Quelqu’un criait. À côté de lui, une fillette aux
cheveux blonds dansait, sa jupe écarlate virevoltant autour d’elle. Elle
tourbillonnait et tourbillonnait en s’approchant de lui, et en même temps sa
jupe devenait une brume rouge. Soudain, la fillette disparut. Un homme se
tenait maintenant devant lui. Ses yeux noirs le fixaient mais à la place du
visage, il n’y avait qu’un néant blanc. L’homme leva la main et souleva
lentement le néant blanc. Quand il eut enlevé son masque, Will hurla.
—
Tu l’as tuée! lui hurla son père en le prenant par l’épaule.
— Il
va faire ça toutes les nuits ?
La
voix venait de la paillasse d’à côté. Le sergent qui couchait en face tourna la
tête dans sa direction.
— Tais-toi,
Hugues.
Puis
il regarda Will.
— Tu
nous as réveillés, tu n’arrêtais pas de crier.
Will
balaya d’un revers de la main les cheveux qui lui tombaient dans les yeux. Sa
couverture était entortillée autour de ses jambes et ses vêtements étaient
trempés par la sueur.
— Je
vais bien.
Le
sergent, qui s’était présenté hier sous le nom de Robert de Paris, hocha la
tête et se remit au lit.
Will
se leva. Quelqu’un ronflait, et Hugues tira la couverture sur sa tête en
grognant. Will se dirigea vers la table où étaient posées une chandelle et une
bassine d’eau. La bougie était presque finie. Will s’aspergea le visage d’eau,
puis il alla s’asseoir à même la pierre sur le rebord de l’unique fenêtre de la
chambre. Dehors, le vent devait être glacial. Un autre ronfleur se joignit au
premier et Hugues se tourna une fois de plus sur son lit. Will était un
étranger ici, il dérangeait leurs habitudes et leur intimité. Il leur avait
raconté en partie la bataille de Honfleur, mais il ne leur avait pas expliqué
ce qui s’était passé après : le chaos sur le quai, et le silence pendant la
remontée de la Seine.
Après
la bataille, les hommes qui avaient pourchassé les six assaillants étaient
revenus en annonçant qu’ils avaient pu en tuer deux, mais que les autres
s’étaient échappés. Les chevaliers voulaient rester pour les traquer et
découvrir qui les avait envoyés, mais le capitaine de l’Opinicus préférait
quitter le port immédiatement.
— C’étaient
des mercenaires ! affirmait John, un chevalier encore jeune. Nous devons
identifier leur commanditaire !
On
avait fouillé les cadavres, mais sans trouver le moindre indice.
— Trois
de mes hommes sont morts, avait répondu le capitaine avec amertume. Nous
repartons avant qu’il n’y ait plus personne pour manœuvrer le bateau.
— Ils
ne lanceront pas de deuxième assaut. Pour l’amour du Christ, nous les avons
presque tous tués ! Achevons-les.
— Vous
n’en savez rien. Il y en a peut-être d’autres.
— Nous
devons trouver qui est responsable de ce massacre, avait insisté John d’une
voix
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