Le livre du cercle
lièvre.
— Aqtai
dira seulement ce que nous voulons qu’il dise.
Après
quoi il lui trancha une oreille.
— Aqtai
ne tolérera pas qu’on dise du mal de Baybars.
Tout
en s’asseyant sur la panse du chef d’état-major, il fit sauter un des yeux de
l’animal.
— Aqtai
reconnaîtra le pouvoir du nouveau sultan.
Enfin,
il tint le lièvre juste au-dessus de sa poitrine.
— Et
si Aqtai n’est pas capable de tout cela...
Avec
sa dague, il ouvrit lentement l’estomac du lièvre et sortit ses entrailles en
prenant soin de répandre le sang sur la robe du chef d’état-major.
— Aqtai
mourra.
Baybars
marchait sur l’herbe jonchée de cadavres de lièvres. Le groupe s’était
dispersé, chacun étant parti à la recherche de ses lances. Omar et Kalawun se
tenaient derrière le sultan. Baybars s’approcha de Qutuz, qui ramassait un des
lièvres qu’il avait tués.
Le
sultan saisit l’animal par les oreilles.
— Nous
allons festoyer ce soir ! s’exclama-t-il en le brandissant.
Il
regarda alentour pendant que Baybars s’approchait.
— Bonne
chasse, non ?
— Oui,
répondit Baybars. Bonne chasse.
Qutuz
regarda par-dessus l’épaule de l’émir en direction de deux Mu’izziyya, à qui il
fit un signe de la tête. Baybars ne vit pas les deux hommes tirer les sabres de
leurs fourreaux, mais Omar les aperçut.
— Seigneur
! appela-t-il en tirant sa propre lame.
Qutuz
se détourna de Baybars pour le regarder. Son sourire s’évanouit en voyant
l’épée qu’il tenait à la main.
Omar
leva sa lame en l’air et jeta un coup d’œil aux deux gardes.
— Rendons
hommage à notre seigneur, dit-il en se mettant à genoux devant Qutuz et en
inclinant la tête.
Les
généraux se regardèrent, puis ils suivirent l’exemple d’Omar pour ne pas
paraître irrespectueux. Kalawun fit de même. Seuls les Mu’izziyya et Baybars,
qui ne comprenait rien à l’attitude d’Omar, restèrent debout. Mais au bout d’un
moment, eux aussi levèrent leurs épées en signe de fidélité et
s’agenouillèrent. Omar leva les yeux et aperçut Baybars derrière le sultan. Il
sourit imperceptiblement.
Qutuz
les regardait tous avec surprise.
— Seigneur,
dit doucement Omar. Puis-je vous faire serment de ma loyauté ?
Qutuz
lui tendit la main en riant avec embarras.
— Bien
entendu.
Omar
prit fermement sa main et l’embrassa.
Qutuz
entendit un cri, puis une douleur atroce éclata dans son dos. Il tituba, tomba
à genoux et, regardant son ventre, vit que la pointe d’une épée en ressortait.
La lame disparut et le sang se mit à couler le long de ses cuisses. La douleur
dominait tout, maintenant. Autour de lui, il entendit le bruit d’épées qui
s’entrechoquaient. Malgré la brume qui recouvrait tout son champ de vision, il
vit qu’Omar était debout et combattait ses gardes aux côtés de Kalawun. Il
essaya de se relever mais son corps refusait de lui obéir. Il émit un râle
pitoyable et posa les deux mains sur l’herbe humide, à côté d’un des lièvres.
Puis une paire de bottes apparut devant ses yeux et il leva la tête, bien
qu’elle lui donnât l’impression d’être en plomb.
Baybars
était au-dessus de lui. Le sabre qu’il tenait était couvert de sang. L’émir
donna un coup de pied dans ses bras et Qutuz bascula sur le côté. Il pouvait
encore sentir l’air frais lui caresser les joues. Une voix s’éleva, et c’était
comme si elle venait de très loin.
— Je
ne suis plus ton esclave.
Baybars
s’éloigna. Quatre Mu’izziyya étaient morts, les deux autres s’étaient rendus.
Il alla vers Kalawun, qui menaçait de son épée deux généraux les armes à la
main.
— Lâchez
vos épées ! leur cracha-t-il.
— Vous
n’avez pas le droit de faire ça ! protesta l’un des généraux.
— Je
viens de le faire.
Impuissants,
les deux hommes laissèrent tomber leurs épées. Kalawun les ramassa et fit un
signe de la tête à l’intention du général qui l’avait informé du plan de Qutuz.
Baybars
se dirigea vers la rive du lac. Enfonçant sa lame dans le sable, il se pencha
pour laver le sang qu’il avait sur les mains. Puis il se releva et regarda le
lac, au-dessus duquel un troupeau de flamants roses venait de prendre son
envol. Et il rit. C’était à lui. Le lac, la plaine, les oiseaux : tout ça lui
appartenait. Il remua l’eau avec ses mains. Elle aussi lui appartenait. Pour la
première fois depuis des années, et même pour la toute première
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