Le livre du cercle
demain ? Will se blottit un peu plus et reposa sa tête contre son
épaule. Demain viendrait bien assez tôt.
— Debout,
je te dis !
Will
revint lentement à la réalité. Quelque chose lui tambourinait contre les
jambes. Il ouvrit des yeux pleins de sommeil. Le vin l’avait assommé et sa
bouche était pâteuse. Il ne savait pas depuis combien de temps il dormait, mais
d’après ce qu’il pouvait voir par la fenêtre, il faisait complètement noir
dehors. L’homme qui se tenait au-dessus de lui portait le manteau noir des
prêtres. C’était Everard de Troyes, le vieil homme du cimetière. Il ne portait
pas sa capuche et Will découvrit la cicatrice qui courait depuis sa lèvre
inférieure jusqu’à son front. C’était un sillon rose qui avait l’air encore
sensible. Le visage du prêtre était émacié, en dehors des immenses poches sous
les yeux. On aurait dit un vêtement coupé convenablement, mais plus à la bonne
taille. À l’une de ses mains noueuses manquaient deux doigts. À leur place se
trouvaient des moignons osseux.
— Qui
es-tu ?
La
voix d’Everard était à peine plus qu’un simple chuintement, et pourtant on
sentait en elle une puissance dominatrice.
Will
lutta pour se remettre d’aplomb. Il regarda le calice vide au sol et les
miettes d’hosties. Il hésitait.
— Réponds-moi
! lui ordonna le prêtre.
— Mon
nom est William. Je suis venu avec l’Opinicus. Mon maître était sire Owein, un
des chevaliers morts durant l’attaque à Honfleur.
— Et
que fais-tu ici ?
— Un
des sergents m’a dit de rapporter une bougie pour notre dortoir, répondit Will
en adoptant l’air innocent qui avait toujours dupé Owein.
Everard
eut un sourire incrédule. Will se sentait mal à l’aise.
Le
prêtre s’approcha de lui et le renifla.
— Est-ce
que tu as bu, sergent ?
— Non,
maître.
— Non
? l’interrogea Everard en reniflant de nouveau. Je suis certain de sentir
l’odeur du mauvais vin.
Il
regarda le calice renversé sur les dalles.
— Peut-être
que tu dormais sous l’effet de l’Eucharistie? Le sang du Christ a des
propriétés si puissantes... En particulier, murmura-t-il sur un ton menaçant,
quand on le consomme comme un ivrogne, et non comme un fidèle adorateur de
Notre-Seigneur.
Will
ouvrit la bouche pour se défendre, mais le prêtre l’attrapait déjà par l’épaule
et le tirait vers la porte.
— Où
m’emmenez-vous ? dit Will qui essayait d’avoir l’air indigné, mais dont la voix
trahissait la terreur.
— Chez
le visiteur, grogna Everard. T’expulser n’est pas de mon ressort.
Will
cherchait quelque chose à dire qui eût fléchi le prêtre, mais il ne parvenait
pas à rassembler ses pensées. Et sur le chemin qui les conduisit aux
appartements du visiteur, il ne réussit qu’à marmonner de vagues excuses, qui
restèrent lettre morte.
Le
logement du visiteur se trouvait dans les bâtiments administratifs, sous la
tour du donjon. L’endroit grouillait de chevaliers sortant tout juste de table
et remplissant leurs obligations avant le dernier office. Quand ils passèrent
sous le grand porche, Will se força à garder la tête haute. Puis ils
traversèrent un couloir avant de s’arrêter devant des portes noires à double
battant. Everard frappa doucement.
— Entrez,
fit une voix grave.
Everard
ouvrit les portes et poussa Will devant lui.
La
pièce était spacieuse et décorée avec plus de faste que les quartiers des
chevaliers au Nouveau Temple. Une table polie était calée contre le mur,
entourée de quatre tabourets et d’un siège qui ressemblait à un trône avec son
coussin et son dossier brodés. Un rideau dissimulait partiellement une grande
fenêtre, et le sol était couvert de tapis et de carpettes. Ici et là, des
bougeoirs en étain supportaient de grandes chandelles, et deux bûches
craquaient en brûlant dans l’âtre, dégageant une odeur de terre et de bois.
Un
livre ouvert devant lui, le visiteur était assis dans l’espèce de trône.
— Frère
Everard ? dit-il en levant des yeux interrogatifs sur le prêtre et sur Will.
Que se passe-t-il ?
— Ce
mécréant a profané le Sacrement. Je préparais la chapelle pour les complies et
je l’ai surpris en train de dormir. Il s’est enivré avec le sang du Christ.
Le
visiteur fronça les sourcils avec sévérité et Will baissa la tête, incapable de
croiser ses yeux désapprobateurs.
— Eh
bien, voilà qui est répréhensible, en effet.
Les
yeux du
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