Le livre du magicien
[...] celui-là n’était pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière. »
Le clerc referma le psautier et le reposa sur la table. En furetant parmi les documents, il retrouva sa copie de l’ Opus majus. Il l’avait étudié avec grande attention avant de quitter Westminster et le nom de Jean lui rappelait quelque chose. Il découvrit la référence au chapitre X. Bacon avait dédié cet ouvrage au pape Clément IV et l’avait envoyé au Souverain pontife par l’entremise d’un jeune homme qui était l’élève du franciscain depuis cinq ou six ans. Corbett s’absorba dans l’étude de la référence. John, semblait-il, n’avait pas plus de vingt ans à cette époque. Frère Roger en parlait comme d’un brillant élève, d’un remarquable érudit à qui il avait confié des connaissances secrètes. Il avait écrit : « Tout étudiant pourrait écouter avec profit ce jeune homme. Personne n’est aussi savant ; de bien des façons, ce jouvenceau est indispensable. » Et cette déclaration encore plus surprenante : « Il l’emporte même sur moi, qui ne suis plus qu’un vieil homme. » Le magistrat ferma le livre.
— Louis, Louis, murmura-t-il, que vouliez-vous dire ? Debout près du feu, il regardait le frêne blanc se rompre et s’effondrer sous l’effet de la chaleur. Crotoy avait été maître de logique ; il avait appris à Corbett qu’il existait souvent différentes voies pour parvenir à la même conclusion. Crotoy avait-il compris qu’on ne pourrait forcer le code ? Mais y avait-il d’autres moyens pour résoudre le mystère, pour découvrir qui était John, cet érudit ? Était-il toujours vivant, retiré en Angleterre ou en France ?
Corbett enfila ses bottes et prit sa chape. Il allait rejoindre les autres dans la salle des Anges. En mouchant la chandelle, il se souvint du curieux bout de vélin trouvé sur Maîtresse Feyner. Il avait oublié cette affaire, mais il lui faudrait y repenser. Pourquoi portait-elle ce message ? De qui venait-il ? Que signifiait-il ? Et assez de pain pour remplir la plus grande des panses, et des prunes de Damas qu’un pape pourrait déguster avant de chanter laudes. Comment disait-on « estomac » en français ? Ventre ? Corbett mit le garde-feu devant l’âtre. La missive n’avait été rédigée ni par lui ni par quelqu’un de sa suite. C’était un mystère pour Sir Edmund et, par conséquent, elle avait dû être écrite par Craon. Quelle autre machination tramait-il ?
CHAPITRE XI
« J’ai dépensé plus de deux mille livres en ouvrages secrets,
en diverses expériences et langages d’instruments
et tables mathématiques. »
Roger B ACON , Opus tertium.
Horehound, le hors-la-loi, était prêt à recevoir le pardon du roi. Il avait froid et faim, et désirait être libéré de la force malveillante de la forêt. Il avait trop longtemps vécu sous les arbres pour se soucier des lutins et des elfes. Le père Matthew avait un jour évoqué des êtres mystérieux, les « Seigneurs des Airs ». Horehound croyait vraiment à ces êtres qu’il ne pouvait voir, mais qui, tapis dans les branches, le regardaient avec malice, étaient responsables des ténèbres glacées, du traître couvert et du manque de gibier pour se remplir le ventre et se réchauffer le sang. Cachés derrière ce menaçant mur de silence, ils l’épiaient et se réjouissaient de ses nombreuses tribulations. Horehound n’en pouvait vraiment plus. Il voulait abandonner la grotte et avait persuadé les membres de sa bande de le suivre. Tous avaient accepté ; même Hemlock avait refusé de repartir et espérait à présent être gracié. Horehound avait décidé du moment avec l’émissaire roux. Dans moins de deux jours, il se réchaufferait les orteils devant la cheminée du château.
Horehound avait nettoyé les grottes, déterré ses quelques piécettes, planté de grossières croix de bois sur les tombes et déposé des rameaux sur celle du pauvre Foxglove. Devant le feu, à l’entrée de sa grotte, il brûlait leurs rares et misérables biens, objets dont ils n’auraient plus besoin ou qu’ils ne pouvaient emporter.
— Nous allons partir bientôt, cria-t-il par-dessus son épaule.
Ils avaient décidé de se rendre à St Pierre où ils attendraient que le rouquin leur apporte un supplément de nourriture et de provisions. Peut-être pourraient-ils s’abriter dans le cimetière, trouver asile dans le champ du
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