Le livre du magicien
Corbett s’allongea, n’écoutant que d’une oreille Chanson qui, ennuyé par le bavardage des clercs, avait recommencé à arranger un mors qui, proclamait-il, serait plus agréable à la bouche des chevaux. Corbett contemplait le baldaquin coloré au-dessus du lit. Il ne savait s’il devait rire ou pleurer devant la profonde duplicité du roi, mais c’était le propre d’Édouard, cet homme suspicieux et prudent, qui croyait sans hésitation – bien que pour des raisons différentes de celles que le Seigneur voulait signifier – que la main droite devait ignorer ce que faisait la main gauche.
« Où tout cela a-t-il commencé ? » s’interrogea Corbett. Jusqu’à l’été dernier, Édouard s’était employé à tenter de rompre le traité de Paris pour échapper à l’obligation morale et légale de marier le prince de Galles à Isabelle, la fille unique de Philippe. Le roi s’était acharné comme un mastiff sur un morceau de viande et n’avait pas laissé de repos à son officier. Le garde du Sceau privé s’était, pendant les mois chauds de juillet et août, rendu à la Tour alors que des flots incessants de rapports provenaient de ses agents en France, en Gascogne et en Flandres. Édouard avait prié et allumé de grands cierges devant ses saints favoris afin que les espions de Corbett trouvent un prétexte pour que les Anglais dénoncent le traité de Paris et tout ce qui en découlait. Les troupes de Philippe se massaient-elles sur la frontière gasconne ? Philippe céderait-il Mauléon, le château si disputé ? Les Français paieraient-ils la dot ? Insisteraient-ils afin que le prince de Galles aille à Paris pour une cérémonie de fiançailles ? Les navires français commençaient-ils à se rassembler dans les ports de la Manche ? Les perpétuelles demandes d’information du souverain avaient fini par exaspérer Corbett. À la fin, tout ce qu’il put prouver fut que Philippe était aussi rusé et astucieux qu’Édouard. Il y avait eu un répit en septembre. Le souverain s’était rendu au palais royal de Woodstock, tout près d’Oxford, et était revenu en portant aux nues les écrits de frère Roger Bacon. Les bibliothèques des collèges d’Oxford, de Cambridge et de tout le royaume furent pillées pour satisfaire le roi qui voulait rassembler les ouvrages du franciscain décédé. Le Secretus secretorum l’avait fasciné et il était entré dans une rage royale quand il avait appris que l’université de la Sorbonne, à Paris, en possédait une copie.
— Oui, murmura le magistrat, c’est là que tout a commencé.
— Sir Hugh ?
— Non, rien, Ranulf, je parlais tout seul.
Corbett poursuivit ses réflexions. Édouard avait envoyé des lettres parmi les plus flagorneuses à son « beau cousin » à Paris pour demander s’il serait possible que la Couronne française lui prête son exemplaire du Secretus secretorum. Bien entendu, Philippe avait refusé avec courtoisie. Néanmoins sa curiosité avait été piquée. Corbett ignorait si l’intérêt de son ennemi juré avait motivé Philippe ou s’il n’avait, en réalité, fait que suivre le même chemin. Les soupçons d’Édouard avaient, bien sûr, été éveillés et quand ses clercs, y compris Corbett, s’étaient avérés incapables de découvrir le code du manuscrit, le souverain anglais s’était abandonné à ses plus sombres doutes. Sa copie du livre était-elle tout à fait fiable ? Le magistrat avait reçu l’ordre strict de découvrir la vérité.
Il s’était rendu à Paris en personne pour donner ses instructions à Ufford et à Bolingbroke. Ces derniers avaient constaté que les Français avaient déjà copié le Secretus secretorum. Corbett leur avait demandé de mettre de côté toute autre activité et de dérober ou d’acheter, par tous les moyens possibles, la version française. Les deux hommes s’y étaient employés, furetant comme de bons limiers pour trouver une piste. Ils s’étaient réjouis quand un membre de l’université, qui semblait fort désireux de leur vendre des renseignements intéressants, les avait approchés. On les avait conviés au banquet de Maître Thibault et tout aurait dû se dérouler comme prévu. Ils avaient engagé le Roi des Clefs et, d’après ce qu’en savait Corbett, la jeune catin qui avait détourné l’attention de Maître Thibault, mais un contretemps était survenu. Thibault les avait dérangés et avait été tué ; Ufford et
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