Le livre du magicien
Hugh, pourquoi ne vous ont-ils pas abattu dans la forêt ou dans la taverne ? fit observer le gouverneur en gardant les yeux fixés sur le sol.
— Oh, cela vous aurait mis la puce à l’oreille ! Mais votre remarque est importante. Ils doivent être en quête d’autre chose. Je sais que vous êtes le gouverneur de cette forteresse, mais moi je suis garde du...
— Et moi j’ai une femme et une fille, coupa Sir Edmund. La solution est fort simple, Sir Hugh. Je vais doubler les gardes et donner la consigne en secret.
— Il ne faut pas que les Français en connaissent la raison.
— Bien sûr que non. Je vais ordonner de relever le pont-levis extérieur et d’abaisser la herse.
— Dans le baile aussi ? interrogea Ranulf.
— Non, non. S’il doit se passer quelque chose, expliqua le magistrat, et que les assaillants pénètrent dans la cour extérieure, il faut laisser aux assiégés la possibilité de fuir par le second pont-levis. S’il est levé, le temps qu’on le redescende, les attaquants pourraient suivre les défenseurs plus avant dans la forteresse.
Il se leva.
— Sir Edmund, je pense que je ne dormirai point cette nuit. Que nos préparatifs soient aussi discrets que possible.
— Pourquoi ne pas faire sortir des cavaliers ? suggéra Ranulf qui, mesurant aussitôt l’inanité de sa réflexion, haussa les épaules. Bien sûr, en pleine nuit et au coeur de l’hiver...
Le gouverneur se plia de mauvais gré aux demandes de Corbett. Il avait servi avec lui au pays de Galles et sur les Marches d’Écosse et savait que si Sir Hugh sentait un danger, c’est que danger il y avait.
Ranulf et Corbett regagnèrent la chambre de ce dernier. Les cours du château étaient vides à présent. Seul un valet muni d’une torche les traversait parfois en toute hâte. Dans le ciel dégagé, les étoiles ressemblaient à des points lumineux. Corbett se rendit à l’entrée de la première enceinte. Des officiers de la garnison se rassemblaient déjà autour de la grille principale et au moment même où il s’éloignait, il entendit résonner un roulement de chaînes. Il vit quelques serviteurs, des chaudronniers ambulants et des colporteurs blottis autour d’un feu. Tout paraissait plutôt calme. Une fois dans sa chambre il vérifia son grand coffre et se changea. Il enfila un solide justaucorps de cuir et s’assura qu’épée et dague entraient et sortaient sans peine de leurs fourreaux, tandis que Ranulf allait chercher dans leurs réserves deux arbalètes et des carquois de carreaux.
— Il vaudrait mieux que je prévienne les autres, déclara-t-il.
— Non, non, lui conseilla son maître. Ne fais pas ça. Je veux que tu restes avec moi. Tu peux dormir sur le lit si le coeur t’en dit.
Corbett poussa sa chaire devant le feu et s’installa en se remémorant tout ce qu’il avait dit au gouverneur. Il était on ne peut plus persuadé que le danger était réel et insidieux. Tous ces petits détails, toutes ces bribes de conversation, qu’il avait saisis au vol au château et dans les parages, prenaient un sens à présent. Pourtant il maudissait sa lassitude, car quelque chose lui avait échappé ! Cela faisait combien de temps que lui et Craon croisaient le fer ? Des années, certes. Et si Craon jouait aux échecs avec la vie d’autrui, il avait dû ourdir manoeuvres et stratégies afin de favoriser ses projets.
— Causa disputandi, pour l’amour du débat, chuchota Corbett, admettons que Craon sache que je sais quel méfait il trame. Les pirates flamands sont peut-être des combattants résolus, mais ce n’est pas une armée. Ils ne possèdent pas d’engins de siège.
— Oui, mais ils ont des échelles, intervint Ranulf, assis sur le lit derrière lui.
Son maître lui adressa un sourire par-dessus son épaule.
— Assez hautes pour escalader ces murs, Ranulf ?
Il retourna à ses pensées.
— Le pont-levis est relevé, les grilles gardées. Oh, mon Dieu, j’ai oublié quelque chose !
Il sommeilla un moment, sursautant à chaque bruit, même aux cris lointains des sentinelles. Il posa une autre bûche sur le feu et se leva pour aller consulter la bougie des heures. On l’avait allumée la veille à midi et la flamme s’approchait déjà du quinzième cercle.
— Si ça arrive, dit Corbett en jetant un coup d’oeil à son écuyer qui dormait comme un loir sur le lit, si ça arrive, ce sera bientôt.
Il alla se rasseoir et tenta de se rappeler ce qu’il
Weitere Kostenlose Bücher