Le livre du magicien
boucliers levés contre les carreaux qui s’abattaient avec un terrifiant bruit mat.
— Sir Hugh, haleta le gouverneur, quand j’en donnerai l’ordre, courez ! Ne vous arrêtez pas et, si vous tombez, que Dieu vous protège !
La consigne fut passée à la ronde. Les ennemis s’approchaient et leurs archers causaient de terribles dommages. Sir Edmund fit un signe, un son aigu de trompette éclata et les défenseurs du château tournèrent les talons et s’enfuirent. Corbett battit en retraite comme les autres. Il dépassa des hommes au justaucorps de cuir, petits et bruns, les cheveux noués sur la nuque, qui bandaient leur grand arc, le carquois pendu de côté, une flèche encochée et une autre dans la bouche. Deux files de soldats étaient agenouillées et entre elles deux autres se tenaient debout. L’air était chargé d’une odeur de sueur, de cuir et du parfum de cette huile particulière dont ils se servaient pour assouplir leurs arcs en bois d’if. Corbett détalait, soucieux de ne pas heurter un de ces archers qui à présent abaissaient leur arme. L’ennemi, pris par surprise, s’arrêta, déconcerté par ces hommes immobiles, par la nuée de flèches barbelées et les longues cordes tirées. Il y eut quelques minutes de silence puis l’un des assaillants, la figure peinturlurée et coiffé d’une peau de phoque, bondit en faisant tournoyer une hache.
— Allez ! cria Sir Edmund.
— Tirez ! hurla un maître archer, tout au fond.
Corbett entendit un son qui ressemblait à celui des cordes pincées d’un millier de harpes, suivi par un bruissement. On aurait dit qu’un oiseau gigantesque battait de ses lourdes ailes. Une noire pluie de flèches resta quelques instants suspendue dans le ciel lumineux. Ce spectacle ramena le clerc dans une vallée brumeuse du pays de Galles où des soldats anglais, arborant la livrée rouge et or, tombaient comme blés mûrs sous une volée drue de traits empennés. Il en allait de même ici. La première vague d’assaillants sembla disparaître, reculer et tomber ; les autres, déconfits, firent halte, cibles encore plus faciles pour la seconde pluie de flèches qui s’abattait, épaisse et sans répit. La haute cour était pleine d’hommes s’écartant en titubant, agrippant les traits plantés dans leur tête, leur cou ou leur poitrine. Certains gisaient, raides morts, sur la glace. Bien que Corbett eût déjà été témoin du mortel résultat des files serrées d’archers, il n’en était pas moins stupéfait par la violence et la rapidité de cet assaut.
Les soldats, à présent, manoeuvraient sous la direction de leurs chefs et se déployaient en fer à cheval pour couvrir toute l’enceinte de leurs traits. La vitesse des flèches, leur précision et la proximité des assaillants eurent des effets efficaces et dévastateurs. Le sol se couvrit de morts et d’agonisants. Les attaquants n’eurent d’autre choix que de reculer. Les archers gallois, suivis de ce sinistre bruit mat, avançaient aux cris de « En avant ! Tirez ! » Les pirates se dispersèrent. Quelques-uns de leurs chefs s’écroulèrent. Mais même pendant la retraite, la pluie mortelle ne cessa pas. Ce fut la panique ; les rangs se rompirent ; les hommes, dans l’espoir de gagner le portail principal, s’enfuirent. Quelques archers bandèrent leur arc et les suivirent. Ce fut une erreur, car les ennemis, munis d’épées et de gourdins, revinrent. Les archers n’étaient pas de taille face à ces hommes acculés et à leur dextérité dans le combat corps à corps. Sir Edmund les rappela. Trompettes et cornes de chasse résonnèrent tandis qu’il ordonnait qu’on amène et qu’on harnache les montures pour engager la poursuite.
Corbett se mit en retrait. Épuisé, à bout de forces, il n’avait pas le coeur de participer à la chasse. La cour fourmilla de chevaux. Sir Edmund et ses officiers se jetèrent en selle et rassemblèrent les soldats à grands cris. La corne sonna derechef et le gouverneur entraîna la cavalcade à travers le baile. Les archers couraient derrière lui. Les habitants du château, munis d’armes improvisées, commencèrent à émerger de leurs cachettes. Ils allaient d’un mort à l’autre, tranchant la gorge des ennemis, cherchant leurs amis. Lady Catherine et sa fille, escortées de Ranulf et d’une poignée de soldats, sortirent de la salle des Anges. Lady Catherine remit de l’ordre. On cessa d’achever les blessés.
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