Le livre du magicien
Marmitons et serviteurs furent chargés d’allumer des feux, de faire bouillir de l’eau et d’aller quérir des draps dans les réserves. Simon, l’apothicaire, s’affairait déjà et, derrière lui, le père Andrew, une étole autour du cou, se déplaçait parmi les morts et se baissait parfois pour parler à un blessé.
Adossé à un mur, Corbett essayait de maîtriser la nausée qui lui tordait l’estomac. Craignant de vomir, il s’efforçait d’inspirer profondément et se raclait la gorge. Ranulf et Bolingbroke arrivèrent en courant. Ils avaient tous deux revêtu des pectoraux de cuir rigide. Ranulf avait jeté son ceinturon sur l’épaule ; son épée et son poignard étaient ensanglantés. Le magistrat se détourna et eut un haut-le-coeur. Les cris des blessés qui agonisaient ou les lamentations d’une femme qui retrouvait son époux déchiraient le terrible silence qui suit toujours une bataille. Si Lady Catherine et son escorte n’avaient pas été là, un second massacre aurait eu lieu. Elle insista pour que les blessés du château soient emmenés dans le donjon et les morts à la chapelle, pour que les prisonniers ennemis qui pouvaient marcher soient menottés sur-le-champ et conduits dans les cachots. Corbett, d’un signe, ordonna à Bolingbroke de lui prêter main-forte.
— Ranulf, j’en ai fini ici.
Soutenu par son écuyer, Corbett retourna dans sa chambre en tentant de ne pas regarder les cadavres gisant dans les sombres flaques de sang. Il arriva à la tour, ouvrit la porte et s’arrêta en entendant du bruit en haut de l’escalier. Ranulf l’écarta et passa devant. Son maître gravit les marches avec lenteur. L’huis de sa chambre était grand ouvert. Il s’immobilisa.
— Je suis sûr de l’avoir fermé, chuchota-t-il. J’en suis certain.
Il entra dans la pièce. En voyant de petites taches sur le sol, il comprit que quelqu’un était venu. On avait aussi déplacé un justaucorps de cuir qui se trouvait sur le grand coffre. Il s’accroupit et examina les fermoirs de l’arche.
— Où se trouvait Craon pendant l’assaut ?
Ranulf rengaina son épée et épongea la sueur de son visage.
— Caché dans la salle des Anges, il me semble.
Le magistrat remplit deux gobelets de vin. Il but avec avidité puis s’étendit sur sa couche. Il lui semblait avoir à peine fermé les yeux quand il fut réveillé par Sir Edmund, les cheveux agglutinés, le visage maculé de sueur et de boue. Le gouverneur paraissait hors de lui.
— Sir Hugh, j’ai besoin de vous tout de suite !
Corbett s’éveilla non sans mal et s’assit au bord du lit. Sir Edmund déboucla son baudrier, s’affala dans une chaire et se frotta la figure.
— Ils étaient trois cents en tout, commença-t-il. Nous avons dû en tuer les deux tiers. Nous avons quarante prisonniers.
— Qu’allez-vous en faire ? s’enquit le clerc.
— Ce sont des pirates, répondit le gouverneur. Ils ne portent ni patentes, ni mandats, ni commissions. Vous connaissez la loi, Sir Hugh. Si on capture ces hommes les armes à la main, on les juge coupables et ils le payent de leur vie.
— Vous voulez les juger ?
— Sur l’heure, Sir Hugh. Vous êtes un juge royal et j’ai donc besoin de vous. On ne peut faire autrement. Ranulf, ici présent, vous servira de clerc ; il y aura trois juges conformément à la loi.
— Un instant, un instant, dit Corbett en levant la main. Les avez-vous interrogés ? Pourquoi ont-ils attaqué Corfe ?
— Leurs chefs sont soit morts, soit en fuite, rétorqua le gouverneur. Le capitaine de la flotte a réussi à s’enfuir. Ceux que nous avons pris ne savent rien, si ce n’est qu’ils devaient assaillir le château, le mettre à sac, tuer autant de gens que possible et se retirer dans leurs navires mouillés le long de l’estuaire.
Corbett accepta le gobelet de vin que Ranulf lui mit dans la main.
— Vous semblez fort irrité, Sir Edmund. L’attaque a été repoussée et vous avez remporté une victoire éclatante.
Le gouverneur ôta son gant pour sucer une blessure à son poignet.
— Vraiment ? Vraiment ? J’ai failli perdre mon château et ma vie, sans parler de celles de ma femme et de ma fille. J’ai aussi risqué votre vie, Sir Hugh. Si vous aviez été tué, le roi aurait réclamé ma tête. Dieu seul sait ce que les Flamands auraient fait des émissaires français.
— Mais ce sont ceux-ci qui les ont engagés, objecta Corbett.
— Ah oui ?
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