Le livre du magicien
les regroupant par six. Corbett quitta la salle comme on entraînait les premiers captifs dans l’escalier qui menait au chemin de ronde. On avait déjà préparé les noeuds coulants dont un bout était fixé aux créneaux. Le père Andrew se tenait au bas des marches et récitait des oraisons à voix basse ; moult pirates l’injuriaient en passant. Quand ils arrivaient sur l’aléoir, on leur passait la corde au cou et on les expédiait à coups de pied et sans autre cérémonie par-dessus la muraille. Les habitants du château avaient déjà déserté les lieux pour, debout dans les prairies gelées, regarder une silhouette après l’autre enjamber les remparts, puis danser et sautiller au bout d’une corde.
— J’en ai assez vu, chuchota le magistrat. Sir Edmund, j’insiste encore une fois pour que personne ne sorte de Corfe.
— Où allez-vous ? interrogea le gouverneur.
— Il faut que je voie un prêtre, répondit Corbett en souriant.
Il fut soulagé de quitter la forteresse. Les exécutions avaient à présent lieu tout le long des remparts et, jetant un coup d’oeil derrière lui, il apercevait de petites silhouettes sombres, quelques-unes immobiles, d’autres donnant des coups de pied dans les affres de l’agonie. Il se détourna et récita une prière à voix basse. Il flatta l’encolure de sa monture et remonta le col de sa chape pour se couvrir le nez et la bouche tout en tournant un peu la tête de côté afin d’éviter le vent âpre qui lui cinglait le visage. Les rênes lâches, il laissait son cheval choisir son chemin sur le sentier gelé. Ranulf suivait, affalé sur sa monture, plongé dans un profond silence. Corbett en connaissait la raison : il avait, bien des années auparavant, sauvé son écuyer de la pendaison et le spectacle de ces exécutions faisait toujours naître d’amers souvenirs.
La neige s’était transformée en glace et, de chaque côté du sentier, le magistrat voyait des signes de la récente attaque : d’humides taches de sang, un gourdin brisé, une boucle ou un bouton. Il s’arrêta tandis que Ranulf poussait sa monture vers une épaisse touffe d’ajonc où gisait le corps d’un autre pirate, recroquevillé dans la mort, une main retournée comme pour arracher le trait d’un pied de long profondément fiché dans son dos. Ils pénétrèrent sous le couvert ; là encore la sanglante poursuite avait laissé des traces : un cadavre, à moitié enseveli sous la neige, oublié par les hommes de Sir Edmund et toujours plus de noires taches de sang.
Quand ils parvinrent à la taverne, ils constatèrent que la cour pavée était déserte. Corbett mit pied à terre, ordonna à Ranulf de l’attendre et entra dans la grand-salle. Le palefrenier en chef l’accueillit et lui apprit que le gouverneur lui avait confié l’auberge pour le moment.
— Nous cherchons encore ceux qui se sont enfuis, dit-il en soutenant le regard du magistrat de ses yeux tristes. Les jouvenceaux et bachelettes qui errent dehors dans la forêt glacée. Nous y sommes allés et avons vu des choses horribles. Des cadavres, la gorge tranchée d’une oreille à l’autre, des chaudronniers et des voyageurs, de pauvres créatures de Dieu qui ne cherchaient qu’à se réchauffer près d’un feu.
— Et les Castillans ? s’enquit Corbett.
— Nous avons cru, Messire, qu’ils étaient ce qu’ils prétendaient être. Ils partaient, de temps en temps. J’ai toujours pensé qu’ils se rendaient au château. Puis les autres sont arrivés, en silence, juste avant le crépuscule. Des hommes terribles, Messire. Ils ont surveillé la route avec grande attention. Quelques servantes ont été violées sans pitié.
— Eh bien, soit ils sont morts, répondit le clerc, soit les voilà sur le point de comparaître devant leur créateur.
Il conseilla au valet d’écurie de veiller, au cas où des pirates qui auraient survécu au combat se dissimuleraient sous les arbres.
— Cela va-t-il se terminer ainsi ? questionna Ranulf quand son maître se remit en selle. Des corps pendus aux remparts ? Sir Hugh, qui répondra des affreux meurtres dans le château ? Votre bon ami Louis...
Corbett leva la main.
— J’en ai assez, Ranulf, des livres secrets et des codes cachés, de la félonie de Craon et de sa soif de mon sang. Nous avons encore à faire.
Il sourit.
— Nous avons un prêtre à rencontrer. N’oublie jamais que les moulins de la justice divine peuvent moudre
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