Le livre du magicien
de la réunion à Corfe. J’ai hésité : devrais-je fuir ? Mais cela aurait provoqué des soupçons. Qui aurait prêté attention à un ignare curé de paroisse ?
— Le roi pouvait-il le savoir ? Est-ce pour cela qu’il a choisi Corfe ?
— Peut-être, concéda le père Matthew. Peut-être a-t-il estimé que cette réunion pouvait intéresser les disciples cachés de frère Roger. En vérité, Sir Hugh, il n’y en a qu’un seul, et il est sous vos yeux. Quand je vous ai rencontré, dit-il avec un soupir, je me suis interrogé. Vous avez l’oeil perçant et l’esprit vif.
Il s’interrompit.
— Je ne veux pas qu’on saccage ma maison, je ne veux pas qu’on brûle mes livres, je ne veux pas qu’on me traîne devant le tribunal d’un archidiacre ou d’un juge local. Je n’ai pas fait de mal, Sir Hugh, je n’ai commis aucun crime.
— Je ne prononce pas de sentence, père Matthew, mais je vous ai posé une question. Les secrets ?
— Si je vous le disais, vous ne me croiriez point. Vous affirmeriez que je mens. Les secrets de frère Roger sont expliqués dans ses manuscrits. Il parle de choses, Sir Hugh, d’hommes qu’il a rencontrés en France, de mystérieux documents, de merveilleuses machines qui passent notre entendement.
— Le Secretus secretorum ?
— Ah, ça !
Le prêtre ferma les yeux et prit une profonde inspiration.
— Frère Roger était très prudent, commença-t-il. Bien des gens pensaient que c’était un magicien.
— Était-ce vrai ?
Le père Matthew ouvrit les yeux.
— Oui et non, Messire. Il était membre d’un cercle occulte d’érudits. Dans sa Lettre sur les prodiges de la nature et de l’art, il juge que la magie n’est que duperie.
— Alors que craignait-il ?
— Que ce qui pouvait être considéré comme de la magie soit, en fait, une création de l’esprit humain, un nouveau savoir. Frère Roger faisait souvent allusion au célèbre savant Pierre de Maricourt, avec lequel il avait travaillé à Paris. Pierre lui avait enseigné des savoirs cachés : fabriquer un verre, par exemple, qui permettait que les objets les plus éloignés semblent se trouver à portée de main, et vice versa. Comment, Sir Hugh, expliquer cela à un évêque ou un inquisiteur inculte ? Frère Roger a pris peur. Il était aussi ulcéré par la façon dont on l’avait emprisonné et réduit au silence, aussi a-t-il rédigé le Secretus secretorum, son recueil de mystères. Il y mélange les sources de ses connaissances et des prédictions, ainsi que la manière de mener certaines expériences. Il a employé un code et, avant que vous ne le demandiez, Sir Hugh, il n’existe pas de traduction. Sur son lit de mort, il m’a confié à voix basse que la clef de cet ouvrage était son propre esprit et qu’elle disparaîtrait avec lui. Sir Hugh, vous pouvez me traîner à Londres, me faire torturer, me menacer, je ne dirai pas autre chose.
Le père Matthew éleva la voix qui résonna dans l’église sombre.
— Le Secretus secretorum est le trésor des secrets de frère Roger. C’est aussi sa revanche sur ceux qui l’ont rejeté. Il aurait pu en dire bien davantage, mais personne ne désire mourir en hurlant, attaché à un piquet et cerné par des flammes rugissantes.
Corbett s’agita sur sa sellette. Il avait interrogé bien des hommes, dont quelques-uns étaient des menteurs consommés, et, dans ces cas-là, faisant fi de la logique et de la raison, il se fiait à son intuition. Il sut, instinctivement, que le père Matthew disait la vérité.
— Donc ce livre ne sera onc traduit ?
— Jamais ! confirma le prêtre. Et plus il y a de copies, plus on fait des ajouts, et, par conséquent, plus ce sera difficile.
— Et la fortune de frère Roger ? s’enquit Ranulf. Il a dit qu’il avait dépensé deux mille livres. Avait-il découvert la pierre philosophale ? Percé les mystères de l’alchimie ?
Le père Matthew rejeta la tête en arrière et éclata de rire.
— Il avait des richesses cachées, répondit-il en gloussant sous cape.
— Des richesses cachées ? releva Ranulf.
Son interlocuteur fit un geste de la main.
— Retournez au château de Corfe, rousseau, et contemplez les remparts. Des hommes ont vécu dans cette contrée avant même l’arrivée des Romains. C’est une résidence royale, un endroit d’où émane le pouvoir. Dites-moi, que fait-on dans les périodes troublées ? Comment protège-t-on ses
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