Le livre du magicien
bénitier des mains et le faire asseoir sur la petite chaire sous la fenêtre. Corbett s’installa sur un tabouret en face de lui.
— Voulez-vous un peu de vin, mon père ? Je vous appellerai père, quoique vous ne soyez pas prêtre. Oh, vous avez bien essayé de vous faire passer pour tel, mais vous tenez l’hostie dans le mauvais sens. Parfois vous oubliez vos devoirs, comme quand vous avez omis d’administrer les derniers rites à la pauvre jouvencelle découverte sur le chemin.
— J’ignore de quoi vous parlez.
— Oh, que non ! continua Corbett avec calme. Nous pourrions fouiller cette maison et, tôt ou tard, je trouverais une cachette. Je me demande ce qu’elle contiendrait ? Un astrolabe, une méthode de calcul, un compas, des cartes du ciel ou des mers, peut-être un ou deux livres et un pot de cette dangereuse poudre dont le roi se sert pour déclencher ses bombardes et jeter de grosses pierres contre les murs des châteaux ?
Il s’interrompit.
— Pourquoi un pauvre prêtre posséderait-il un bassin de cuivre si onéreux et l’aurait-il tant utilisé qu’il est incrusté de poudre noire ? Mais, là encore, vous savez tout ce qu’il y a à savoir, n’est-ce pas, sur l’ignis mirabilis de frère Roger ? Vous en avez lu la formule, vous savez comment le préparer.
Le magistrat sourit.
— Vous n’avez pas commis de crime, père Matthew, fors un, je suppose. Vous produirez des lettres de quelque évêque déclarant que vous êtes bien prêtre, mais moi je suis clerc royal et même les fraudes les plus habiles peuvent être discernées. Il ne vous serait pas difficile d’acquérir le plus beau vélin, une plume, un morceau de cire et de fabriquer votre propre sceau. Combien de gens sont-ils capables de déchiffrer un tel document ? Et qui s’en soucie, à vrai dire ? Après tout...
Il fit un grand geste.
— ... St Pierre-des-Bois, hors les murs du château de Corfe, n’est pas le plus riche bénéfice du royaume de Dieu. À combien se montent ses dîmes et revenus, mon père, à une somme dérisoire ?
— On me brûlera ! s’exclama le père Matthew en levant la tête. Vous le savez bien, Sir Hugh. On pillera ma demeure et on emportera l’or et l’argent que j’y ai dissimulés. On brûlera mes livres comme on a brûlé ceux de frère Roger. Pourquoi ? Parce que je suis un savant ? Parce que je veux sonder les mystères ? À qui ai-je fait du mal ? C’est vrai, dit-il avec un signe de tête et sans tenir compte des larmes qui coulaient sur ses joues, que je n’ai point le pouvoir de transformer le pain et le vin en corps et en sang du Christ. Je n’ai nulle autorité pour délivrer les ouailles de leurs péchés, mais s’il y a un dieu, il doit être compatissant. Il comprendra.
Corbett écouta la confession de cet ancien érudit. Il était né près d’Ilchester et, devenu orphelin tout jeune, s’était rendu à Oxford où frère Roger l’avait accueilli avec bonté. Il expliqua comment le franciscain lui avait dispensé une éducation hors norme, lui enseignant le Quadrivium et le Trivium, les mathématiques, la logique, l’astronomie, les Écritures et différentes langues.
Le père Matthew sourit.
— C’était mon Socrate. Je m’asseyais à ses pieds et absorbais sa sagesse. Mais, soupira-t-il, frère Roger s’est querellé avec son ordre en la personne du père supérieur, l’éminent savant Bonaventure. Il a perdu la protection de la papauté et a passé des années en prison. Il a été relâché et est revenu à Oxford, mais c’était un homme brisé. À sa mort, les bons frères ont cloué ses manuscrits aux murs pour qu’ils pourrissent.
Il haussa les épaules.
— C’est, du moins, ce qu’a prétendu la rumeur. À cette époque je n’étais plus là. Frère Roger m’avait recommandé de me cacher, de rester bien loin de son ordre et des collèges. Je suis revenu à Ilchester. Personne ne m’a reconnu ni ne me connaissait. J’ai ouï dire que cette paroisse n’avait pas de prêtre, ajouta-t-il avec un sourire contraint. Vous savez le reste. Vous avez raison, Sir Hugh, qui s’en souciait ? Le clerc de l’évêque était si ignorant qu’il n’a même pas pu traduire le latin de la missive que j’avais forgée. Mais que pouvais-je faire ? Je voulais continuer mes études.
La voix lui manqua.
— Les secrets ? interrogea Corbett.
— Ah, je pensais bien que vous me poseriez cette question. J’ai entendu parler
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