Le livre du magicien
lui lança un clin d’oeil :
— Bien que je sois certain que le seigneur de Craon n’en éprouvera pas autant de satisfaction.
Corbett remonta son capuchon.
— Tout va bien, William ?
— Je suis curieux, Sir Hugh.
— Bien sûr, mais n’oubliez pas que ce qui a été fait dans l’ombre paraîtra bientôt en pleine lumière, commenta ce dernier en pressant son cheval. C’est du moins ce dont voudraient nous convaincre les Évangiles.
Ils quittèrent le couvert des arbres et, jouant des éperons, franchirent les terres crayeuses et herbues en direction du château érigé sur des tertres étagés successifs, ce qui lui conférait une position imprenable. Corbett avait visité Corfe des années auparavant. Ses parents avaient affermé une propriété dans le Devon et avaient emmené leur fils préféré voir les merveilles des bâtisseurs et des tailleurs de pierre du roi. Le magistrat avait travaillé à Londres et à Paris, mais même la vue de ces deux cités, sans parler du passage du temps, n’avait en rien amoindri l’effroi respectueux qu’il éprouvait devant cette redoutable forteresse avec ses hautes murailles crénelées, ses tours élancées ou trapues et ses tourelles à créneaux. Sur le donjon, au sommet de la colline, flottait la bannière royale d’Angleterre aux léopards d’or se détachant nettement sur le fond pourpre et, tout près, l’étendard personnel – lions d’argent couchant sur champ d’azur – de Sir Edmund Launge, le gouverneur.
Ils parvinrent enfin au château, passèrent le pont-levis dans un martèlement de sabots et s’engagèrent sous les dents acérées de la herse relevée. Ils traversèrent la basse-cour – le baile –, encombrée comme une place de marché par ses étals, forges, écuries, cuisines et fours que l’on préparait en hâte pour une nouvelle journée laborieuse. Quelque part une cloche tinta et une corne de chasse résonna, presque noyée par les aboiements d’une meute de chiens de chasse impatients d’engloutir leur premier repas de la journée. Tout près du portail, sur des tables d’où le sang ruisselait comme de l’eau, le garennier déposait les corps dépouillés du gibier pour que le boucher les vide après avoir terminé la découpe d’un porc entier dont la hure tranchée, abandonnée dans un cuveau de saumure, effrayait les limiers curieux par son regard immobile et vitreux. Feux et braseros crépitaient. Tout autour des enfants dansaient et poussaient des cris perçants en écartant les mastiffs qui salivaient à l’odeur du jambon salé grésillant et dorant sur des grils improvisés. Des lavandières portaient avec peine des panières de vêtements malodorants jusqu’aux cuves qui les attendaient. Des verdiers suspendaient d’autres pièces de gibier à des perches pendant que les piqueurs tentaient de retenir les chiens tout en plaçant des jattes sous les gorges ouvertes des animaux et de la volaille pour recueillir le sang. Un peu plus loin, on sortait des écuries un cheval qui semblait boiter afin qu’un vétérinaire l’examine. Soldats et archers paressaient, leurs armes entassées près d’eux, et se serraient autour d’un foyer pour déjeuner de grossier pain de seigle, de saucisses épicées et d’un pichet de bière. Personne n’arrêta Corbett et ses compagnons. On les laissa traverser le baile, passer sur un second pont-levis enjambant un fossé à sec et entrer dans l’enceinte intérieure, un endroit plus calme, dominé par ses tours et son donjon élevés. Des gardes se tenaient dans l’ombre de la herse, plus du côté de la basse-cour, et des archers, sur les créneaux, se retournèrent pour assister à l’arrivée des nouveaux venus. Corbett tira sur les rênes et mit pied à terre. Il jeta un coup d’oeil vers le bâtiment principal, un manoir à lui tout seul. Construit en pierre solide et, pour la façade, en pierres de taille sur une base de briques rouges, il arborait un toit de tuiles noires et deux cheminées basses et trapues. C’était le logement personnel du gouverneur. Il comprenait une grand-salle, une cuisine, un solar, une resserre et des chambres à l’étage. Sir Edmund Launge, accompagné de son épouse et de sa fille, descendait déjà en hâte l’escalier pour les accueillir. Des valets d’écurie et des palefreniers s’empressèrent de s’occuper de leurs chevaux. Sir Edmund, écartant sans ménagement poules et canards qui poussaient des piaillements
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