Le livre du magicien
plus venimeuses cachée dans l’herbe. Édouard avait exigé que Ranulf jure sur sa vie que si Craon menaçait le magistrat, ou pire, le blessait, l’écuyer lui coupe la tête.
— Mais c’est un ambassadeur ! avait plaidé Ranulf, terrorisé et le souffle court bien que flatté par l’attention du roi.
— Alors c’est un ambassadeur mort, avait commenté Édouard avec un sourire sarcastique. Je ne vous demande pas de le décapiter à proprement parler. Je serai satisfait si Craon périt par mésaventure. Savez-vous, Maître Ranulf, ce qu’est une mésaventure ?
— Oui, Sire.
— Parfait.
Le souverain avait souri et enfoncé son coude encore un peu plus.
— Parce que si vous échouez, il pourrait bien vous en arriver une !
CHAPITRE IV
« En toute chose le libre arbitre est préservé. »
Roger B ACON , Opus majus.
La cloche de la chapelle du château tintait, lugubre, quand Corbett, Ranulf et Chanson passèrent dans un grand bruit de sabots sous la herse béante et sur le pont-levis avant de s’évanouir dans le tourbillon de neige. Les prairies et les buissons alentour commençaient à se couvrir d’un blanc manteau. Après avoir réveillé Chanson d’un coup de pied, Ranulf lui avait crié de se chausser et de se rendre aux écuries le plus vite possible. Bien entendu Chanson avait mis des siècles à se lever. Ranulf avait dû lui enfiler ses bottes – même en se trompant de pied –, puis, l’ayant pris au collet pour lui faire descendre l’escalier, l’avait poussé à travers la cour sans tenir compte ni des gémissements de protestation du palefrenier ni des regards curieux que leur avaient jetés les gens qui les croisaient. Corbett patientait à l’écurie, emmitouflé dans sa chape, la tête et le visage dissimulés par son profond capuchon.
— J’ai pensé que je ferais mieux d’attendre, murmura-t-il.
Son écuyer murmura une obscénité entre ses dents et aida Chanson à seller leurs montures. Maintenant qu’ils se trouvaient en rase campagne, la peur envahit Ranulf. Il poussa son cheval à la hauteur de celui de son maître.
— Pourquoi sommes-nous ici, Sir Hugh ?
— Je te l’ai déjà dit, répondit le magistrat d’une voix qui sonnait creux sous son capuchon. Nous serons sous peu fort entravés dans nos mouvements. Je veux savoir où nous nous trouvons.
La peur de Ranulf fit place à une appréhension qui le glaça.
— Que craignez-vous, Sir Hugh ?
— Je suis inquiet, expliqua ce dernier en retenant sa monture et en claquant de la langue quand elle flanella. Pourquoi des pirates flamands rôdent-ils en plein hiver ? Il est vrai qu’on peut larronner sans peine, mais...
Ils chevauchèrent quelques instants en silence, puis Corbett fit pivoter son cheval et fixa la masse sombre de la forteresse. Il tendit la main gauche.
— À environ six miles au nord-est se trouve Wareham, une assez grande ville. Les envoyés français y ont sans doute logé la nuit dernière. Tout autour de nous s’étend une épaisse forêt en forme de croissant ; au sud de Corfe, à peu près à sept ou huit miles encore, il y a la mer. À l’est c’est un estuaire et à l’ouest un autre plus petit. Cette partie du comté est donc presque une île. On l’appelle Purbeck Island.
Il chassa les flocons de son visage.
— Quant au reste, voyons par nous-mêmes.
Ils pénétrèrent sous le couvert, tournèrent à droite en suivant le chemin et passèrent dans un village assoupi sous la neige. Les chaumines paraissaient désertes ; le cri isolé d’un enfant, l’aboiement d’un chien et la volute de fumée noire d’un feu de bois étaient les seuls signes de vie. Ils avancèrent. Corbett, apercevant le clocher de St Pierre-des-Bois, comprit qu’ils suivaient sans doute le sentier emprunté par Rebecca ce matin-là. Ils mirent pied à terre près de la grille du cimetière, attachèrent leurs chevaux et remontèrent l’allée jusqu’au porche construit sur le côté de l’église. La porte était ouverte et ils entrèrent dans la nef froide à l’odeur de moisi. C’était un endroit lugubre, dont le sol pavé était éclairé avec parcimonie par le rayon de lumière qui, de temps à autre, perçait les hautes fenêtres étroites. C’était, néanmoins, un endroit consacré, une chapelle ancienne aux piliers trapus, aux transepts étroits et aux murs chaulés. On avait placé des paniers d’herbes aromatiques au pied de chaque pilier et les
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