Le livre du magicien
étaient tirées, il y avait un gobelet sur la table et ce coffret, mais rien d’autre.
— La porte était fermée à clef, n’est-ce pas ?
— Oh, oui ! répondit le garde. Certains, au château, chuchotent que l’endroit est maudit, ajouta-t-il.
Le magistrat lui lança une piécette et, en redescendant l’escalier, se demanda, sans savoir pourquoi, si l’homme avait dit la vérité.
CHAPITRE VI
« Si les gens doivent être soumis à une même loi,
au moins que ce soit la loi anglaise pour les Anglais
et la loi française pour les Français
et non celle de Lombardie. »
Roger B ACON ,
Compendium de l’histoire de la philosophie.
— Je ne crois pas que de telles choses soient possibles ; ce ne sont là que chimères. Je pense que frère Bacon était un grand érudit doté d’une imagination fort vive.
Louis Crotoy se rencogna dans sa chaire et repoussa les manuscrits qui se trouvaient devant lui comme s’ils étaient souillés. Corbett, au bout de la table, s’interrogea : son vieil ami avait-il décidé d’affronter le danger ? En mettant en doute les écrits de frère Roger, il demandait de façon implicite que la réunion prenne fin. Craon, pourtant, à l’autre bout, restait imperturbable. Il avait ôté sa chape et délacé le justaucorps matelassé qui se trouvait dessous.
— Je suis d’accord, renchérit Jean Vervins en se penchant, les yeux fixés sur Craon. Dans son De mirabile potestate artis et naturae, De l’admirable pouvoir et puissance de l’art, et de nature, traduisit-il comme si les autres participants ignoraient tout du latin, frère Roger soutient...
Il s’empara de l’un des ouvrages posés devant lui.
— ... que certains phénomènes ne sont créés que par l’agencement de l’art ou de la nature. En ceux-là il n’y a rien de magique. Et pourquoi ? interrogea-t-il en levant la tête et en ébauchant un sourire. Parce que, prétend frère Roger, il a été prouvé que tout pouvoir magique est inférieur au pouvoir de l’art et à celui de la nature.
— Que voulez-vous dire ? questionna Craon.
— Rien, Messire, rétorqua Vervins.
Il cligna de ses yeux las et gratta le bout de son nez pointu.
— Mais il en découle, en toute logique, que si les merveilles sont le résultat de l’art et de la nature, alors tous peuvent les voir et qu’il n’y a point de savoir secret.
— Cependant il se contredit, fit remarquer Crotoy. Frère Roger évoque – et je le cite – « de merveilleux engins construits dans l’Antiquité et à son époque ». Il affirme aussi « avoir rencontré des personnes pour qui ils sont familiers ».
— Il en parle, dit Vervins en élevant la voix, dans son livre De arte...
— Sauf pour la machine à voler, s’entremit Corbett.
— Oui, contra Crotoy, mais il prétend avoir vu quelqu’un qui l’a conçue en détail. Frère Roger dit avoir effectivement conversé avec quelqu’un qui, du moins en théorie, a fabriqué une machine volante.
— Il fait référence à Pierre de Maricourt, expliqua Pierre Sanson, large visage enflammé, cheveu rare et humide.
Il s’était, lui aussi, débarrassé de sa chape et l’avait jetée sur le dossier de sa chaire.
Sa voix de fausset provoqua des rires parmi les écuyers assis près de la cheminée.
— En effet, releva Crotoy en hochant la tête, ce mystérieux philosophe qui est censé avoir été son professeur à Paris. Bon, ajouta-t-il en s’accoudant sur la table, j’admets que frère Roger avance des assertions incroyables. Écoutez...
Il prit un manuscrit.
— ... il écrit noir sur blanc : « Il est possible que l’on construise un jour de grands navires et des vaisseaux de haute mer qui seraient guidés par un seul homme et se déplaceraient plus vite qu’une galère chargée de rameurs. » Et aussi : « On pourrait fabriquer un char qui se déplacerait à une vitesse extraordinaire et dont le mouvement ne dépendrait ni d’un homme ni de toute autre créature. » Plus loin, ajouta Crotoy en laissant tomber le vélin, il évoque un engin qui, si on le construisait, pourrait emmener un homme au fond de la mer sans qu’il en soit affecté. Eh bien, dit-il en s’échauffant, que se passerait-il si je soutenais avoir agencé une paire d’ailes pour voler du haut du donjon du château ? Quelqu’un céans aimerait-il faire l’expérience ?
Sa question suscita des éclats de rire. Corbett, souriant sous cape, regarda Craon
Weitere Kostenlose Bücher