Le livre du magicien
point, bien qu’il n’ait même pas voulu me le confier ? Il a lu tous les ouvrages de Roger Bacon et a sorti le Secretus secretorum de sa précieuse bibliothèque de Westminster. Est-ce parce qu’il a ouï dire que Philippe de France s’y intéressait lui aussi, ou est-ce le contraire ? Philippe, comme moi, est-il simplement fort curieux de comprendre les raisons pour lesquelles Édouard se passionne pour les écrits d’un franciscain mort depuis longtemps ?
Secundo.
— Le Secretus secretorum est-il un manuscrit authentique ? Est-il une véritable mine de secrets ou n’est-il que babillage ? Le code a-t-il une clef ? Une vraie clef ? Édouard d’Angleterre n’en a pas la traduction, mais est-ce le cas pour Philippe de France ? Selon Craon, et il l’a prouvé ce matin, on peut en transcrire l’une des phrases. Y a-t-il là pur hasard ?
Tertio.
— Pourquoi les Français se sont-ils si volontiers pliés aux exigences d’Édouard d’Angleterre ?
Pourquoi, en fait, ont-ils souligné qu’une telle collaboration était en accord avec le traité de Paris ? Pourquoi ont-ils accepté de venir en Angleterre et ont-ils voulu que la rencontre se tienne dans un château isolé près de la côte ?
— Parce qu’ils savaient, suggéra Ranulf en levant la tête, qu’Édouard y consentirait. Il n’aime pas que vous soyez en France. Si Philippe insiste pour que les deux cours oeuvrent main dans la main, c’est le moins que puisse espérer Édouard.
— C’est vrai, c’est vrai, murmura Corbett.
Il s’arrêta devant la cheminée et observa les têtes taillées dans le manteau de bois. Le sculpteur avait essayé d’imiter les visages de gargouilles qu’on voyait dans les églises, mais, à la fin, s’était contenté de simples médaillons aux yeux, nez et bouche burinés de façon sommaire. Corbett reprit son va-et-vient.
Quarto.
— Craon a amené de la Sorbonne des spécialistes ès oeuvres de frère Roger. Ils sont aussi habiles à déchiffrer codes et lettres cachées. L’un d’entre eux est déjà mort dans de malheureuses circonstances. Mon vieil ami Crotoy m’a confié qu’aucun de ces periti, aucun de ces experts, n’était l’ami du roi de France. Ils s’opposent à ses idées sur la royauté. Crotoy est convaincu que Destaples a été assassiné, mais il n’y a pas l’ombre d’une preuve. Il pense aussi que lui et les autres sont destinés à périr, qu’on les a conduits en Angleterre pour être éliminés, qu’ils mourront de malemort dans de fâcheux incidents. Louis Crotoy estime que ces « accidents » ne donneront pas lieu à des poursuites et que s’il s’élève quelques doutes, on en tiendra la perfide Angleterre pour responsable.
Quinto.
— L’affaire de Paris. Ufford et Bolingbroke affirment que l’un des maîtres de l’université leur a appris, contre de l’or, où était gardée la copie du Secretus secretorum détenue par Maître Thibault. Ils l’ont dérobée, mais, pour une raison inconnue, Maître Thibault et la jeune gueuse avec laquelle il se trouvait sont descendus à la chambre forte au moment même du vol. D’après ce que je sais, Maître Thibault ne voulait point s’y rendre. Il semble qu’il fanfaronnait devant sa compagne. Mais pourquoi une ribaude parisienne se serait-elle intéressée à un vieux manuscrit ? Lui avait-on donné pour instruction de faire descendre son hôte à cet instant-là ? Si c’est le cas, la personne qui a trahi Philippe, le mystérieux professeur de l’université, a aussi tenté de trahir Ufford et Bolingbroke. Il y est d’ailleurs presque parvenu. Ufford a été tué et Bolingbroke ne s’est échappé que grâce à la chance et à sa propre adresse.
Corbett hocha la tête.
— Je n’y comprends rien, dit-il en avalant une gorgée de vin.
Sexto.
— Les morts en ce château. J’ai juré de découvrir le meurtrier. Mais pourquoi d’infortunées jouvencelles sont-elles tuées par un carreau d’arbalète ? Elles ne sont ni violées ni dévalisées ; on retrouve les corps soit dans l’enceinte du château, soit à l’extérieur. Les assassinats ont commencé après la Saint-Matthieu. Ce fut d’abord une jeune femme qui a disparu, mais on a trouvé les autres dans la forteresse ou dans les parages. On a voulu en rendre responsable une bande de misérables hors-la-loi. Je n’y crois pas. Premièrement, pourquoi ces gueux attaqueraient-ils les filles de la région ? – ils ne
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