Le livre du magicien
calma Corbett. Alusia vous a-t-elle parlé de ce qui est arrivé hier ?
— Non, je l’ai à peine vue. Elle se reposait et était toute tourneboulée. Je n’ai échangé que quelques mots avec elle, rien de plus.
— Connaissiez-vous les autres filles, celles qui ont été assassinées ? interrogea Bolingbroke de la chaire où il était assis.
Le soldat lança un coup d’oeil en biais à Marissa, installée à côté du magistrat et immobile comme une statue.
— Quelques-unes, marmonna-t-il.
Marissa, oubliant sa timidité, lui jeta un regard furieux.
— Surtout Phillipa ! Tu disais qu’elle n’était pas farouche avec toi. N’était-ce que hâbleries ?
— Je me vantais, admit Martin, le rouge aux joues. Elle était étrange.
— Phillipa ? reprit Corbett. La fille de Maîtresse Feyner ?
Il jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule.
— Chanson, où est Maîtresse Feyner ?
— Elle a dit qu’elle viendrait quand elle serait prête.
— Bon.
Corbett se retourna. Marissa frissonnait encore. Il déposa sa coupe et se dirigea vers les chapes pendues à une patère. Il en décrocha une et en enveloppa les épaules de la jeune fille.
— Vous êtes fort aimable, dit-elle en arrangeant le vêtement.
— Elle est à toi, répondit Sir Hugh.
Il sortit deux pièces de son escarcelle et en donna une à chacun de ses interlocuteurs. Martin accepta à contrecoeur. Marissa se saisit de la sienne, resserra la chape contre elle et ferma le poing sur l’argent. Les attentions de l’émissaire royal qui lui avait permis de s’asseoir tout près du feu et de boire du posset dans une coupe d’étain la flattaient. Corbett baissa les yeux et vit sur le sol un flageolet, l’un de ceux dont usait Chanson. Il le ramassa et, l’esprit ailleurs, le mit dans son escarcelle.
— Vous disiez que Phillipa était bizarre ?
— C’est vrai, renchérit Marissa. Elle était fort imbue d’elle-même. Elle affirmait qu’un des hors-la-loi, un homme mystérieux qu’elle nommait le Goliard {16} , était épris d’elle et elle narrait comment ils se retrouvaient dans les bois. Elle prétendait que c’était un chevalier sans terre qui habitait son propre manoir dans la forêt.
Marissa porta une main à ses lèvres et pouffa.
— Nous disions qu’elle prenait ses désirs pour des réalités.
— Étiez-vous proche d’elle ?
— Non. Mais d’autres l’ont peut-être été.
— Et quand a-t-elle disparu ?
Marissa ferma les yeux.
— Le dimanche d’action de grâces pour les moissons. Il faisait beau. Je me souviens l’avoir aperçue au cimetière après la messe, puis elle a disparu. Nous avons pensé qu’elle était partie dans la forêt voir son Goliard.
— Avez-vous participé aux recherches ? demanda le magistrat à Martin.
— Oui. Des bois jusqu’à la mer. Nous n’avons rien trouvé. Et à présent, Messire, dit-il en reculant sa sellette à grand bruit, je dois m’en aller.
Corbett leva la main.
— Une question auparavant. Aviez-vous un nid d’amour ?
— Un quoi ?
— C’est un endroit secret, expliqua Bolingbroke, où un homme peut rencontrer la dame de ses pensées.
— Il y a des ruines, répondit le soldat, contre le mur du fond derrière le donjon. Un souterrain qui menait aux cachots et aux caves ; c’était notre endroit.
Il ne releva pas le gloussement de Marissa.
— J’y suis allé. Il n’y a personne.
Il était sur le point de partir quand on frappa à l’huis et Maîtresse Feyner – manches relevées jusqu’aux coudes, mains et poignets à vif – fit irruption. Elle ignora complètement Marissa et Martin et, avant même qu’on le lui ait proposé, s’installa, indignée, sur un tabouret devant le feu. Quand Bolingbroke lui proposa du posset dans un gobelet qu’on avait gardé près de l’âtre, elle le lui arracha des mains.
— Je ne peux rester ici longtemps. Avez-vous interrogé ces deux-là sur ma fille ?
Elle but avec avidité.
— Si vous devez poser des questions sur Phillipa, alors c’est à moi qu’il faut les poser.
— La dernière fois qu’on l’a vue, c’était le dimanche, dans le cimetière, après la messe.
— En effet. Elle m’a dit qu’elle allait cueillir des fleurs.
— Et non voir l’homme nommé le Goliard ?
Maîtresse Feyner lança un coup d’oeil venimeux à Marissa mais, à sa façon de remuer les lèvres et de ciller, le magistrat se rendit compte qu’elle était au
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