Le livre du magicien
bord des larmes. Elle lui tendit son gobelet et se leva.
— Ne vous souciez pas de ce Goliard, dit-elle. Ma pauvre Phillipa se sentait seule.
— Mais elle prétendait le rencontrer.
— Oui, oui, reconnut Maîtresse Feyner en essuyant ses mains sur sa robe. Je ne peux rien vous dire, Messire ; je ne peux vraiment pas. Ma Phillipa a disparu et les autres aussi. Et voilà qu’à présent on recherche la malheureuse Alusia.
— Et ce lieu de rendez-vous, interrogea Sir Hugh, ce passage menant aux vieux cachots ?
— C’est un endroit prisé des amoureux, expliqua la lavandière avec un sourire. Nous l’avons fouillé pour Phillipa, comme pour Alusia. Mais il n’y a rien. Il n’y a jamais rien là-bas, ajouta-t-elle après coup.
— Il faut que je m’y rende, déclara Corbett. Peut-être y rencontrerai-je Ranulf ! Maîtresse Feyner ?
Il lui prit la main et la laissa s’emparer de la pièce dissimulée.
— Je vous remercie pour votre peine.
Une fois les trois visiteurs sortis, le magistrat enfila ses bottes, décrocha sa lourde chape de la patère et en boucla le fermail sous son menton.
— Je veux visiter ce château et voir ce qui s’y passe.
Il adressa un signe de tête à Bolingbroke et Chanson, puis s’interrompit.
— Pour l'amour de Dieu, Chanson, va chercher Ranulf. Dis-lui que je dois lui parler avant que nous rencontrions les Français et avant le souper.
Sir Hugh descendit l’escalier glacial et sortit dans le baile. De-ci de-là des lumignons à la lueur vacillante luttaient bravement contre les ténèbres. Les habitants passaient en courant, se précipitant d’un abri à un autre pour tenter d’échapper au vent mordant. Corbett releva son capuchon et fit le tour de la motte où s’élevait le donjon. Il s’arrêta un instant pour lever les yeux sur la bâtisse – massif rectangle de pierre qui en imposait – s’élançant vers les cieux. Des torches et des chandelles brillaient aux meurtrières des différents étages. Il longea la colline, puis traversa le petit hameau où les gens du château vivaient dans des chaumines en torchis adossées aux murailles et aux tours. L’endroit était animé. Des enfants couraient, criaient et dansaient encore autour de feux et de braseros improvisés. L’air était chargé d’effluves de cuisine et de cuir tanné, de l’odeur forte du fumier de cheval et d’un parfum de foin venant des granges. On le saluait çà et là et le magistrat répondait en levant la main. Il s’arrêta pour parler avec quelques soldats et s’enquérir de l’emplacement du passage. Ils désignèrent un endroit plus loin dans les ténèbres.
Corbett se trouvait maintenant de l’autre côté du donjon. Il gravit la pente du tertre couronné par le puissant édifice, traversa ce qui devait être les jardins, cachés à présent sous leur couverture de neige, descendit encore des marches, trébuchant et glissant en foulant ce qui semblait être une étendue stérile de neige et d’ajoncs avant de se rendre compte qu’il devait s’agir de la garenne du château. Il n’y avait que peu de constructions : des appentis aux fenêtres vides et quelques huttes. Tout près se dressaient des machines de guerre – deux catapultes et un grand mangonneau. Sur le rempart, au-dessus de lui, il distinguait les sentinelles, peu nombreuses à cet endroit, qui se tenaient sous les torches attachées à des perches. Le vent lui apporta les faibles accents d’un air que chantait un soldat pour se distraire. Il finit par atteindre le mur d’enceinte et, en suivant le terrain vague, découvrit le couloir en ruine qui menait à ce qui avait dû être d’anciennes caves et des cachots creusés sous les murs de la forteresse comme la crypte d’une église.
Les marches, fort abruptes, étaient irrégulières et la glace les rendait plus dangereuses encore. Corbett retint sa respiration en descendant et regretta de ne pas avoir emporté de lumignon. Le magistrat jura et, se retenant contre le mur, avança avec précaution. Au bout, le couloir se prolongeait un peu. Corbett tâta le mur et soupira de soulagement quand ses doigts effleurèrent la grosse chandelle de suif, abandonnée par le serviteur qui s’occupait de la cave ou, peut-être, apportée par des amoureux qui se retrouvaient ici. Il sortit de l’amadou de sa poche et, non sans peine, alluma l’épaisse mèche. Protégeant la flamme de la main, il leva la chandelle. Les parois de l’étroit
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