Le livre du magicien

quand je l’ai quitté. Et maintenant, Sir Hugh, je dois aller là-haut à mon tour.
    Il se tapota l’estomac.
    — J’ai beaucoup bu, mais il faut que je m’assure que tout a été enlevé.
    Il frôla Corbett au passage et s’engagea dans l’escalier.
    — Je veux rendre un dernier hommage à Louis, déclara le magistrat en quittant la tour.
    Il souhaita une bonne nuit à ses compagnons et traversa le baile gelé de la forteresse. Il ne neigeait plus et, en levant les yeux, il fut heureux de constater que les nuages s’étaient dissipés et que les étoiles scintillaient dans le noir. Il passa quelques instants dans la petite église où à présent trois cercueils avaient été installés sur des tréteaux devant le maître-autel. Sans tenir compte du couinement des souris et du froid qui l’enveloppait, intense et lourd comme une brume suintant des pierres mêmes, il s’agenouilla pour réciter les psaumes des morts et tressaillit en sentant qu’on lui effleurait l’épaule. Le père Andrew le regardait avec bienveillance.
    — J’étais sûr de vous trouver céans, Sir Hugh. J’ai vu Sir Edmund et le Français. Nous avons décidé que la messe de requiem serait chantée demain. Rebecca sera enterrée dans le cimetière. Les dépouilles des deux Français doivent être conduites à Douvres, embaumées et embarquées à bord d’une cogghe française. Moi et Maître Simon, l’apothicaire du château, avons fait de notre mieux, ajouta-t-il. À Douvres les praticiens sont plus habiles. Quoi qu’il en soit, Sir Edmund a annoncé qu’il n’y aurait point de réunion demain. La journée sera jour de deuil.
    Corbett le remercia et quitta l’église. Il ouït un bruit qui venait de l’ombre.
    — Je te croyais couché, Ranulf. Je sens l’odeur du savon avec lequel tu t’es lavé. Lady Constance doit en être fort aise !
    — Je me retirerai quand vous vous retirerez, déclara l’écuyer en avançant dans la flaque de lumière des torches qui flanquaient la porte de l’église. Je voulais m’assurer que vous étiez en sécurité.
    — La rencontre de demain est annulée, lui apprit Corbett, et je dois assister à la messe de requiem.
    — Je suis navré du fond du coeur, Messire, de ce qui s’est passé tout à l’heure.
    Ranulf titubait un peu. Il avait avalé trop vite de grands gobelets de vin pendant le souper.
    C’est sans importance, répondit le magistrat en lui donnant une tape sur l’épaule. J’ai oublié. Dors bien, Ranulf.
    Le magistrat regagna sa chambre. Il savait que Ranulf le suivrait, au moins jusqu’à l’entrée. Il ferma et verrouilla l’huis et alla s’assurer que les volets tenaient bien devant la fenêtre. Puis il ranima le feu et, prenant son écritoire, s’assit un moment en tentant de donner un sens aux diverses questions qui le préoccupaient. Il se remémora l’attaque, plus tôt dans la soirée, les carreaux d’arbalète qui frappaient la pierre dure. Combien de gens l’avaient-ils vu se diriger par là-bas ? Combien de gens savaient-ils où il allait ? Puis il se rappela avoir traversé la cour. Son assaillant n’avait dû avoir aucun mal à l’apercevoir, à saisir son arme et à le suivre dans les ténèbres. Cet archer meurtrier était-il aussi responsable du trépas des jouvencelles ou l’attaque avait-elle été organisée et ourdie par Craon ? Ce dernier exécutait-il des ordres ou était-ce simplement que la méchanceté du Français avait pris le dessus et qu’il avait été incapable de résister à l’occasion de frapper son ennemi juré ? Et les assassinats des bachelettes... avait-il appris quelque chose de nouveau ? Rien, en fait, si ce n’est que le soldat contait fleurette aux jouvencelles, mais c’était le cas dans tous les villages, tous les châteaux du royaume. Il inscrivit le nom de « Phillipa ». Elle était différente ; c’était une jeune fille solitaire et intelligente qui se racontait des histoires merveilleuses au sujet d’un chevalier sans terre, un prétendu hors-la-loi nommé Goliard.
    Était-elle allée dans la forêt et y avait-elle péri ? Son corps pourrissait-il dans quelque fossé, ou s’était-elle enfuie ? Il se rappela les protestations de Maîtresse Feyner. Il se frotta le menton et se demanda quand Horehound, le pendard, le rencontrerait. Savait-il quelque chose ? Il lança un regard à la pile de livres et de manuscrits de frère Roger et au volume de Craon qui se trouvait encore sur