Le livre du magicien
Ranulf écoutait, tout oreille. Il ne voulait pas presser le gamin qui, pour une pièce d’argent, aurait raconté n’importe quel mensonge sur l’aubergiste. Il était si captivé que ce fut un choc quand il se rendit compte combien la forêt était dense. Nul signe de vie, sauf, parfois, le croassement d’un corbeau ou un bruissement dans les fourrés. Il se crut, une fois, perdu, mais l’enfant montra leur chemin sous les arbres et déclara qu’ils étaient en sécurité. Ils parvinrent à un petit croisement où une sente coupait leur chemin. Le valet se laissa glisser à terre et leva sur Ranulf des yeux ronds de hibou.
— Restez ici, lui conseilla-t-il. Ne bougez pas. Je serai de retour en un rien de temps.
Puis il disparut, quittant le chemin, s’enfonça dans les halliers et l’ombre sous les arbres. Ranulf n’avait pas le choix : il devait attendre. Il eut envie de continuer sa route. Ce n’était pas tant la pénombre, la neige ni le ciel qui s’assombrissait au-dessus de sa tête qui le mettait mal à l’aise, mais ce silence menaçant, comme si on l’épiait de sous le couvert en attendant qu’il commette une erreur. Son cheval frappa le sol du sabot et hennit, et le bruit résonna comme un claquement de fouet. Ranulf mit pied à terre et entrava sa monture, qui, sentant l’inquiétude de son maître, se montrait nerveuse. Il lui flatta l’encolure en lui parlant avec douceur pour la rassurer et tenta de maîtriser les battements de son propre coeur. Il pensa à Lady Constance et se demanda si elle lui accorderait un gage, un léger baiser peut-être, un frôlement de lèvres. Son cheval hennit derechef et s’agita. Ranulf entendit un cliquetis et pivota sans brusquerie. Six hommes déguenillés, le capuchon en loques relevé, se tenaient là. Trois d’entre eux étaient armés d’épées et de haches et le chef, ainsi que les deux pendards qui l’encadraient, levaient leurs arbalètes, carreau enclenché dans l’arbrier, corde tendue.
— Vous avez un beau cheval. Nous pourrions le prendre ainsi que la selle et le harnachement et tout vendre dans la ville la plus proche. Et vos armes. Vous possédez aussi des pièces d’argent.
— C’est vrai, vous le pourriez, les avertit Ranulf, et les hommes du roi vous pendraient. Est-ce vous, Horehound ? Je suis Ranulf-atte-Newgate, clerc de la Cire verte, émissaire du souverain. Je suis venu vous proposer sa grâce.
Le valet surgit, leste comme conil, de derrière un buisson :
— Je vous l’avais dit, je vous l’avais dit ! Je vous avais bien dit qui c’était !
Les arbalètes s’abaissèrent. Le chef des coquins fit un pas en avant et repoussa sa capuche et la guenille qui couvrait sa bouche et son nez. Il avait un visage sale et émacié, un nez un peu de travers, une balafre sur la joue gauche et des cheveux gris coupés ras. Sa moustache et sa barbe étaient crasseuses et collées par la graisse, ses yeux perçants et vifs. Horehound tendit sa main enveloppée de chiffons. Ranulf la prit et, la serrant avec force, attira l’homme vers lui. Il lut un éclair de terreur dans les yeux du larron.
— Non, n’ayez pas peur, le rassura-t-il. Je ne suis point ici pour vous capturer. Le jour où vous nous avez rencontrés, ajouta-t-il avec l’ombre d’un sourire, dans le cimetière de St Pierre, vous avez fait allusion à l’« horreur dans la forêt ». Que vouliez-vous dire ? Vous savez quelque chose, n’est-ce pas, au sujet des jouvencelles qui ont été assassinées ?
— Je sais beaucoup de choses, répondit le chef des bandits en se tournant vers l’homme qui se tenait à sa droite. Hein, Hemlock ? N’est-ce pas vrai, Milkwort ?
Ses deux compagnons acquiescèrent d’un grognement.
— C’est bien un pardon total que vous nous promettez ?
— Pour chacun d’entre vous, confirma le clerc. Une grâce complète et l’amnistie, plus de l’argent pour vous aider à repartir d’un bon pied.
Le hors-la-loi fouilla sous ses haillons et sortit la croix grossière qui pendait à son cou. Il la posa dans la main de Ranulf.
— Elle a été trempée dans l’eau bénite et bénie par un prêtre. Prêtez serment et venez !
Ranulf n’oublia jamais le trajet haletant qui s’ensuivit à travers la forêt glacée. Les filous laissèrent le valet avec l’un d’entre eux pour garder le cheval et, en file indienne, Ranulf derrière le chef, ils pénétrèrent sous les arbres. C’était un endroit
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