Le loup des plaines
endormi. Ceux qui veillaient
encore ne prêteraient pas attention à un féal allant prendre son tour de garde.
Basan avait cependant longuement hésité avant de se décider à donner à Temüdjin
l’un de ses chevaux. Il en avait onze et les aimait tous comme ses enfants. Il
s’était décidé pour une petite jument noire, l’avait amenée devant sa tente et
avait mis dans les sacs de selle assez de nourriture pour garder Temüdjin en
vie pendant son voyage.
Le jeune Loup, qui se tenait dans l’ombre, cherchait des mots
pour exprimer sa gratitude. Il n’avait pas même quelque chose à offrir aux
enfants et avait honte du fardeau et de la peur qu’il leur avait imposés. Si l’animosité
de la femme de Basan ne s’était pas atténuée, les craintes du fils aîné avaient
fait place à une admiration respectueuse lorsqu’il avait appris qui était l’inconnu.
Rassemblant son courage, le garçon s’approcha de Temüdjin
avec la timidité de ses douze ans. Pliant le genou, il prit la main du jeune
Loup et la pressa sur sa tête, là où une mèche unique couvrait la peau.
La gorge nouée d’émotion par ce geste simple, Temüdjin
murmura :
— Ton père est un homme courageux. Suis ses pas.
— Je le ferai, seigneur, répondit l’enfant.
La mère poussa un soupir sifflant. Basan, qui avait observé
la scène de l’entrée de la yourte, s’approcha de son fils et le fit se relever.
— Tu ne peux pas prêter allégeance à cet homme, petit. Le
moment venu, tu mettras ton sabre et ta vie au service d’Eeluk, comme je l’ai
fait, dit le guerrier sans regarder Temüdjin.
Sous la forte poigne du père, l’audace du garçon s’évanouit
et il courut se réfugier dans les bras de sa mère. Temüdjin s’éclaircit la voix.
— L’esprit de mon père nous observe, dit-il à voix
basse. Vous lui faites honneur en me sauvant.
— Viens, maintenant, dit Basan, embarrassé. N’adresse
la parole à personne, on te prendra pour une des sentinelles.
Il tint la portière relevée et Temüdjin grimaça en se
baissant pour sortir. Il portait une tunique propre et des guêtres sous un deel matelassé appartenant à Basan. Ses blessures les plus graves étaient
pansées. Loin d’être guéri, il brûlait cependant de remonter à cheval. Il
trouverait sa famille parmi les vagabonds des plaines et les Loups ne le
rattraperaient pas.
Basan s’imposa de marcher lentement, comptant sur l’obscurité
pour cacher l’identité de son compagnon à quiconque serait assez fou pour
braver le froid. Quelqu’un remarquerait peut-être, à son retour, qu’il n’avait
plus sa jument, mais il n’avait pas le choix. Il ne leur fallut pas longtemps
pour laisser les tentes derrière eux et personne ne les interpella.
Les deux hommes avancèrent en silence, Basan menant la bête
par la bride, jusqu’à une bonne distance du camp des Loups. Il était tard et le
féal devrait courir pour regagner son poste sans susciter de commentaires. Lorsqu’ils
furent à l’ombre d’une colline, il mit les rênes dans les mains de Temüdjin.
— Il y a là mon deuxième arc, dit Basan en tapotant un
paquet accroché à la selle. Avec deux flèches pour que tu puisses chasser quand
tes vivres seront épuisés. Mène la jument à pied jusqu’à ce que tu sois loin, pour
que les sentinelles n’entendent pas ses sabots. Et reste le plus longtemps
possible dans l’ombre des collines.
Temüdjin pressa le bras du guerrier. L’homme l’avait fait
prisonnier avec Tolui et lui avait ensuite sauvé la vie en mettant sa famille
en danger. Il ne le comprenait pas mais il lui était reconnaissant.
— Guette-moi à l’horizon, Basan. J’ai un compte à
régler avec les Loups.
Le féal vit de nouveau dans le regard de Temüdjin la détermination
qui rappelait de manière glaçante celle de Yesugei lorsqu’il était jeune.
— J’entends parler ton père, souffla-t-il en
frissonnant soudain.
Temüdjin le regarda longuement dans les yeux.
— Quand tu me reverras, ta famille n’aura rien à
craindre, dit-il. Je te le promets.
D’un claquement de langue, il fit repartir la jument. Basan
le suivit un moment des yeux avant de se mettre à courir vers son poste. Lorsque
Temüdjin sortirait de l’ombre de la colline, il n’y aurait que Basan pour le
voir, et son cor resterait silencieux.
19
Assis sur une pente douce, Kachium rompait le jeûne de la
nuit avec un morceau de pain rassis et le reste du mouton aux
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