Le loup des plaines
et il dut à nouveau réviser son opinion sur Temüdjin. Le jeune guerrier
écoutait, même s’il n’aimait pas demander conseil. Cela méritait d’être retenu.
Alors qu’il faisait crisser sous ses pieds une neige de plus
en plus épaisse, le forgeron entendit des sanglots étouffés provenant d’un
boqueteau proche des yourtes tatares. Il dégaina son sabre, se figea. C’était
peut-être un piège mais il ne le pensait pas. Les femmes du camp n’avaient eu
le choix qu’entre se terrer dans les tentes ou se cacher à sa lisière. En été, elles
auraient attendu dans les fourrés le départ des pillards avant de rejoindre à
pied leur tribu. Pas en hiver, pas sous la neige.
Arslan n’avait pas vécu quarante ans sans acquérir une
certaine prudence et il tenait encore son sabre devant lui quand il découvrit
le visage d’une jeune femme qui n’avait pas la moitié de son âge. Avec un
sourire satisfait, il rengaina son arme et tendit la main pour l’aider à se
lever. Comme elle le fixait sans bouger, il eut un rire de gorge.
— Tu auras besoin de quelqu’un pour te réchauffer cette
nuit, jeune fille. Tu seras mieux lotie avec moi qu’avec un plus jeune, je
crois. Les hommes de mon âge ont moins d’énergie, pour commencer.
La jeune femme gloussa. Arslan présuma qu’elle n’avait aucun
lien de parenté avec les guerriers morts mais décida quand même de bien cacher
ses couteaux avant de s’endormir. Plus d’un homme avait été égorgé par une
captive au doux sourire.
Elle prit sa main et il la hissa sur son épaule, lui tapota
la croupe en traversant le camp dans l’autre sens. Il fredonnait quand il
trouva une yourte avec un poêle et un lit chaud où ils seraient à l’abri de la
neige.
Temüdjin serra le poing de plaisir lorsque ses hommes firent
le compte des morts. Les cadavres tatars ne parleraient pas mais ils étaient
trop nombreux pour n’être qu’un groupe de chasseurs, en particulier au cœur de
l’hiver. Kachium pensait qu’ils étaient probablement des pillards comme eux.
— Nous garderons les chevaux, dit Temüdjin à ses
compagnons.
L’outre d’arkhi passait de main en main, l’humeur était
joyeuse. Dans peu de temps, ils seraient ivres et chanteraient, ils auraient
peut-être envie d’une femme, bien que ce camp n’offrît rien de bien alléchant. Temüdjin
avait été déçu de découvrir que la plupart des femmes étaient de ces robustes
matrones que les hommes emmènent dans la steppe pour cuisiner et coudre plutôt
que pour satisfaire leur concupiscence. Il fallait encore trouver une épouse à
Khasar et à Kachium et, en sa qualité de khan, il devait rassembler autour de
lui le plus grand nombre possible de familles loyales.
Des vieilles femmes avaient été interrogées sur leurs hommes
mais, naturellement, elles prétendaient ne rien savoir. Temüdjin en observait
un spécimen particulièrement décati qui remuait un ragoût de mouton dans la
yourte qu’il avait choisie pour sienne. Peut-être devrait-il le faire goûter à
quelqu’un d’autre avant de le manger, se dit-il, se moquant aussitôt de son
excès de méfiance.
— As-tu tout ce dont tu as besoin, vieille mère ? demanda-t-il.
La Tatare se retourna pour le regarder et cracha par terre. Temüdjin
éclata de rire. C’était une des grandes vérités de la vie : aussi furieux
que soit un homme, il peut être intimidé par une démonstration de force. Personne,
en revanche, ne peut intimider une femme en colère. Oui, il devrait peut-être
faire goûter ce ragoût, finalement.
— À moins que la neige n’ait recouvert des corps, nous
avons fait vingt-sept morts, dit-il, y compris la vieille femme que Kachium a
abattue.
— Elle se précipitait sur moi avec un couteau, répliqua
Kachium, vexé. Si tu l’avais vue, tu aurais tiré ta flèche, toi aussi.
— Alors, remercie les esprits de ne pas avoir été
blessé, suggéra Temüdjin avec le plus grand sérieux.
Kachium roula des yeux tandis que plusieurs des autres
hommes présents s’esclaffaient. Il y avait là Jelme, les épaules encore
couvertes de neige, ainsi que trois frères, arrivés depuis un mois seulement. Ils
étaient si novices, si verts, qu’on croyait sentir sur eux une odeur de mousse
mais Temüdjin les avait désignés pour qu’ils se tiennent à ses côtés dans les
premiers moments chaotiques du combat sous la neige.
Kachium échangea un coup d’œil avec Temüdjin après
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