Le loup des plaines
traversaient au trot la mer herbeuse. À
son étonnement, Arslan n’était pas gêné par le silence qui accompagnait leur
chevauchée. Le soir, ils bavardaient autour du feu ou s’exerçaient au sabre
jusqu’à être en nage. Le sabre que Temüdjin portait était remarquablement
équilibré, rayé sur toute sa longueur d’une rainure permettant au sang de s’écouler
des plaies qu’il ouvrait. Arslan avait forgé cette arme pour lui, il lui avait
appris à lui garder son tranchant, à la huiler pour éviter qu’elle ne rouille. Les
muscles du bras droit saillant comme des mamelons, Temüdjin s’habituait à son
poids et, avec Arslan pour maître, son adresse augmentait chaque jour.
Les journées à cheval s’écoulaient paisiblement. Pour Arslan,
c’était comme voyager avec son fils Jelme. Temüdjin chevauchait un peu devant
lui ou gravissait une colline pour choisir la meilleure route vers le sud. Le
jeune pillard avait une assurance tranquille qui transparaissait dans chacun de
ses gestes. Arslan méditait sur les caprices du destin qui l’avaient amené à
sauver Temüdjin des Loups. Dans leur petite bande, ils l’appelaient khan même s’ils
étaient à peine vingt à le suivre, plus une poignée de femmes et d’enfants. Temüdjin
n’en marchait pas moins à leur tête avec orgueil ; ils combattaient, accumulaient
les coups de main victorieux.
Parfois, Arslan se demandait ce qu’il avait mis en branle.
Les Olkhunuts avaient maintes fois changé de camp depuis que
Basan était venu chercher Temüdjin après la blessure de Yesugei. Il fallut deux
lunes aux deux cavaliers rien que pour atteindre les terres entourant le mont
Rouge et Temüdjin ne savait toujours pas où trouver les Olkhunuts. Il se
pouvait même qu’ils aient commencé à descendre vers le sud, comme ils l’avaient
fait des années plus tôt. Arslan sentait la tension croître chez son jeune
compagnon quand ils interrogeaient chaque vagabond ou berger qu’ils croisaient.
Ce n’était pas facile de les aborder. Même quand ils
accrochaient leurs arcs à leurs selles et qu’ils levaient les bras en l’air, ils
étaient accueillis par des arcs tendus et des flèches pointées sur eux, et des
regards effrayés d’enfants. Temüdjin mettait pied à terre pour parler aux
hommes sans tribu quand ils ne détalaient pas dès qu’ils les avaient aperçus, Arslan
et lui. Il en dirigeait certains vers le nord avec la promesse d’être bien
accueillis s’ils venaient en son nom. Il ne savait pas s’ils le croyaient. Finalement,
une vieille femme dépourvue de peur leur apprit que les Olkhunuts se trouvaient
à l’est.
Temüdjin ne trouva pas la paix de l’esprit en traversant les
terres qu’il avait connues enfant. Il demandait aussi des nouvelles des Loups, pour
les éviter. Eeluk était encore dans les parages et Temüdjin ne tenait pas à
tomber inopinément sur un groupe de ses chasseurs. Le moment de régler les
comptes viendrait, mais pas avant qu’il ait rassemblé assez de guerriers pour s’abattre
sur les yourtes des Loups comme un orage d’été.
Lorsqu’ils aperçurent le vaste camp des Olkhunuts, après
avoir chevauché un mois de plus, Temüdjin arrêta son cheval, submergé par les
souvenirs. Il vit la poussière soulevée par les cavaliers galopant à leur
rencontre.
— Garde les mains loin de ton sabre quand ils seront là,
dit-il à Arslan.
Le forgeron accueillit avec impassibilité ce conseil inutile.
Temüdjin tira sur la bride de sa monture qui allongeait le cou vers une plaque
d’herbe rousse. Il se souvenait de son père aussi clairement que s’il était à
ses côtés, et contenait son émotion, montrant un masque froid que Yesugei aurait
approuvé.
Arslan décela cependant le changement d’humeur du jeune
homme dans la tension de ses épaules et la façon dont il se tenait en selle. Le
passé d’un homme est toujours plein de souffrance, pensa-t-il.
— Et s’ils refusent de te la donner ? demanda-t-il.
Temüdjin tourna ses yeux jaunes vers le forgeron, qui se sentit
étrangement perturbé par ce regard froid.
— Je ne partirai pas sans elle, déclara le jeune khan. Je
ne les laisserai pas me rejeter sans me battre.
Arslan, troublé, hocha la tête. Il se rappelait encore ses
dix-huit ans mais l’insouciance de ces années était loin. Son adresse avait
augmenté depuis et il n’avait toujours pas rencontré d’homme capable de le
battre au sabre ou à l’arc, même si un tel
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