Le loup des plaines
quand
nous serons suffisamment forts, je reviendrai du nord et je disperserai les
Loups dans la neige.
Kachium frissonna. C’était peut-être un effet de son
imagination mais il avait cru entendre de vieux os cliqueter dans le vent.
DEUXIÈME PARTIE
20
Khasar attendait sous la neige, le visage engourdi par le
froid malgré la couche de graisse de mouton. Il ne pouvait s’empêcher de s’apitoyer
sur lui-même. Ses frères semblaient avoir oublié que c’était son seizième
anniversaire. Il tira la langue, tenta d’attraper un flocon. Cela faisait trop
longtemps qu’il était là, il s’ennuyait, il se sentait las. Il se demanda s’il
se trouverait une femme dans le camp tatar, distant d’une centaine de pas. Le
vent était mordant et, au-dessus de sa tête, les nuages filaient, chassés comme
des chèvres blanches avant l’orage. L’image née de ces mots lui plut. Il faudrait
qu’il s’en souvienne pour les répéter à Hoelun lorsqu’ils rentreraient, après
la razzia. Khasar envisagea de s’accorder une rasade d’arkhi pour se réchauffer
mais se rappela les recommandations d’Arslan et résista à la tentation. Le
forgeron n’avait versé qu’une coupe du précieux liquide dans la seconde gourde
en cuir.
« Je ne veux pas que tu sois saoul. Si les Tatars
parviennent jusqu’à toi, nous aurons besoin d’une main ferme et d’un œil clair. »
Khasar avait beaucoup d’estime pour les deux hommes que Temüdjin
avait ramenés, en particulier le plus âgé. Parfois, Arslan lui rappelait son
père.
Un mouvement lointain le tira de ses réflexions. Il peinait
à se concentrer sur sa tâche alors qu’il avait l’impression de geler lentement.
Finalement, il valait mieux boire l’eau-de-vie qu’avoir trop froid pour agir. Il
remua avec précaution pour ne pas briser la couche de neige dont il avait
recouvert son deel et la couverture.
L’alcool lui piqua les gencives mais il l’avala aussitôt, sentit
sa chaleur gagner sa poitrine, ses poumons. Les sens réveillés, il eut la
confirmation que cela bougeait effectivement dans le camp tatar. Khasar était
allongé à l’ouest, invisible sous la neige. Il vit des silhouettes courir et, quand
le vent tomba, il entendit des cris : Temüdjin avait attaqué. Ils
sauraient maintenant s’ils n’affrontaient qu’un petit groupe de Tatars ou l’embuscade
contre laquelle Arslan les avait mis en garde. Les Tatars avaient offert une
récompense pour la poignée de pillards qui s’étaient introduits sur leurs
terres. Cela avait eu pour seul effet d’aider Temüdjin à recruter des guerriers
parmi les familles isolées en prenant leurs femmes et leurs enfants sous sa
protection et en les traitant avec respect. Les Tatars aidaient Temüdjin à se
créer une tribu dans la steppe glacée.
Khasar entendit les claquements sourds des flèches. À cette
distance, il ne pouvait dire si elles provenaient d’arcs tatars, mais cela n’avait
pas d’importance. Temüdjin lui avait ordonné de rester caché à cet endroit sous
une couverture blanche et c’était ce qu’il ferait. Entendant des chiens aboyer,
il espéra que quelqu’un les abattrait avant qu’ils puissent menacer Temüdjin. Son
frère avait encore peur de ces animaux et il ne devait pas montrer de faiblesse
devant les nouvelles recrues, dont certaines n’avaient pas encore toute
confiance en lui.
Khasar sourit. Temüdjin préférait accueillir des guerriers
ayant femme et enfants. Ils ne le trahiraient pas alors que leur famille était
restée au camp sous l’œil de Hoelun. Toutefois, la menace n’était jamais
exprimée et elle n’existait peut-être que dans l’esprit de Khasar. Son frère
était cependant assez intelligent pour avoir eu cette idée, il le savait.
Khasar plissa les yeux et les battements de son cœur s’accélérèrent
lorsqu’il vit deux silhouettes jaillir du camp. Il reconnut Temüdjin et Jelme, constata
qu’ils couraient l’arc à la main. Derrière eux, lancés eux aussi à vive allure,
six Tatars vêtus de fourrures hurlaient en montrant des dents jaunes.
Temüdjin et Jelme passèrent devant Khasar sans baisser la
tête vers lui. Il attendit que les guerriers tatars se rapprochent puis se
dressa soudain, tel un démon vengeur, amenant la corde de son arc vers son
oreille droite. Deux hommes tombèrent sous ses flèches, les autres s’arrêtèrent,
sidérés.
Sans leur laisser le temps de se ressaisir et de fondre sur
Khasar, Temüdjin
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