Le loup des plaines
durerait.
— Pillera-t-il encore ? demanda-t-il tout à trac. Les
Tatars ne le supporteront plus longtemps.
— Nous épierons leurs camps avant d’attaquer, répondit
Kachium. De toute façon, ils sont lents et empotés en hiver. Temüdjin dit qu’on
peut encore continuer des mois comme ça.
— Mais toi, tu sais bien que non. Ils nous attireront
en nous offrant une proie facile et nous tomberons sur des yourtes bourrées de
guerriers. Tôt ou tard, ils nous tendront un piège.
— Ce ne sont que des Tatars, répondit Kachium en
souriant. Nous sommes capables d’abattre tous ceux qu’ils enverront contre nous.
— Ils pourraient bien être des milliers, si vous
persistez à les provoquer. Quand viendra le dégel, c’est une armée qu’ils
enverront.
— J’espère bien. Temüdjin pense que c’est le seul moyen
d’inciter les tribus à s’unir. Il dit qu’il nous faut un ennemi qui menace nos
terres et je le crois.
Kachium tapota l’épaule d’Arslan comme pour le rassurer
avant de s’éloigner sous la neige. Le forgeron en fut si surpris qu’il ne réagit
pas. Il ne tenait pas le tigre par la queue mais par les oreilles, et il avait
la tête dans sa gueule. Arslan entendit des pas derrière lui puis la seule voix
qu’il aimait :
— Père ! Tu vas mourir de froid, dit Jelme.
— Je sais, je sais, soupira-t-il. Je ne suis pas aussi
vieux que vous semblez tous le penser.
Il regarda son fils approcher d’un pas souple et énergique, les
yeux brillants, enivré par la victoire. Le cœur débordant d’amour, il se rendit
compte que le jeune homme était impatient de rejoindre les autres. Temüdjin
tenait sans doute déjà un nouveau conseil de guerre pour préparer un autre
assaut contre la tribu qui avait tué son père. Chaque coup de main était plus
audacieux et plus difficile que le précédent. Les nuits étaient souvent agitées,
passées à boire et à jouir des captives. Le matin, c’était différent, et Arslan
ne pouvait pas reprocher à son fils la compagnie de ses nouveaux amis. Au moins,
Temüdjin avait du respect pour l’adresse de Jelme à l’arc et à l’épée.
— Es-tu blessé ? demanda Arslan.
Son fils sourit, découvrant de petites dents blanches.
— Pas une égratignure. J’ai abattu trois Tatars avec
mon arc, un quatrième avec mon sabre en portant le coup que tu m’as appris.
Jelme mima la botte et Arslan approuva de la tête.
— Il est excellent si l’adversaire est déséquilibré.
Le forgeron espérait que son fils sentirait la fierté qu’il
éprouvait et qu’il n’arrivait pas à exprimer.
— Je me souviens de te l’avoir enseigné, poursuivit-il
avec gaucherie.
Il ne trouvait pas les mots. Il s’était creusé entre eux un
fossé qu’il ne savait comment combler.
Jelme fit un pas vers lui, lui pressa le bras. Arslan se
demanda si son fils avait pris avec Temüdjin cette habitude du contact physique.
Pour quelqu’un de sa génération, c’était une intrusion dans son intimité et il
devait toujours réprimer l’envie de la repousser. Pas avec son fils, toutefois.
Il l’aimait trop pour s’en offusquer.
— Tu veux que je reste avec toi ? demanda Jelme.
Le forgeron eut un rire teinté de tristesse. Ces jeunes gens
étaient d’une arrogance qui le peinait mais, avec la venue de familles isolées,
ils s’étaient transformés en une bande de pillards qui ne mettaient jamais en
question l’autorité de leur chef. Arslan avait vu des liens de confiance se
nouer entre eux et quand son moral était bas il se demandait s’il devrait un
jour voir son fils mourir avant lui.
— Je vais inspecter le camp pour m’assurer qu’aucune
surprise ne viendra troubler mon sommeil cette nuit, répondit-il. Va.
Il se força à sourire et Jelme, laissant enfin libre cours à
son excitation, s’élança vers les tentes blanches d’où montait déjà le bruit
des réjouissances. Les Tatars de ce camp s’étaient beaucoup éloignés de leur
tribu, songea Arslan. Sans doute étaient-ils à la recherche de la bande même
qui avait exterminé les leurs sans merci. La nouvelle parviendrait rapidement
aux khans locaux, qui réagiraient. Ils ne pouvaient se permettre de tolérer ces
razzias, que Temüdjin le comprenne ou non. À l’est, les grandes cités des Jin, toujours
à l’affût des faiblesses de leurs ennemis, avaient probablement envoyé leurs
espions.
En parcourant le camp, il croisa deux hommes qui faisaient
de même
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