Le loup des plaines
arrière.
Le Mongol que Temüdjin avait appelé Arslan sembla se
hérisser de nouveau et Temüdjin lui posa une main sur l’épaule.
— Ici, je suis khan, responsable de mon peuple. Tu
voudrais que je ploie le genou devant Toghril pour quelques chevaux ?
Le ton s’était fait subtilement menaçant et Wen se prit à
regretter de ne pas avoir autorisé Yuan à l’accompagner.
— Il te suffit de refuser et je partirai, dit l’émissaire.
Toghril n’a pas besoin d’un vassal. Il a besoin d’un chef de guerre impitoyable
et fort. Il a besoin de tous les hommes que tu peux lui apporter.
Temüdjin échangea un regard avec Jelme. Après un hiver
interminable, il savait que les Tatars auraient faim de revanche. L’idée de s’allier
à une tribu plus nombreuse était tentante mais il avait besoin de réfléchir.
— Tu as dit beaucoup de choses intéressantes, Wen Chao,
répondit-il au bout d’un moment. Laisse-moi maintenant prendre une décision… Kachium ?
Donne des lits chauds à ses hommes et fais-leur apporter du ragoût.
Il vit le regard de Wen Chao se porter sur l’outre à demi
vide.
— Et aussi de l’arkhi pour lui tenir chaud cette nuit, ajouta-t-il,
emporté par sa générosité.
Tous se levèrent quand Wen se mit debout, pas tout à fait
aussi stable sur ses jambes qu’à son arrivée. L’homme salua une fois encore et Temüdjin
remarqua qu’il s’inclinait plus bas qu’à sa première tentative. Le voyage lui
avait peut-être raidi le corps.
Lorsqu’il se retrouva seul avec ses guerriers, Temüdjin
tourna des yeux brillants vers ceux en qui il avait le plus confiance.
— Je veux cette alliance. Je veux en savoir le plus
possible sur ce peuple. Des maisons en pierre ! Des esclaves par milliers !
Cela ne vous fait pas envie ?
— Tu ne connais pas ce Toghril, répondit Arslan. Le
peuple d’argent serait-il à vendre ? Les Jin pensent qu’on peut nous
acheter avec des promesses, nous impressionner en nous parlant de cités
grouillantes. Que sont-ils pour nous ?
— Tâchons de le découvrir. Avec les Kereyits, je peux
enfoncer une pique dans le cœur des Tatars. Que les rivières rougissent du sang
que nous ferons couler.
— C’est à toi que j’ai prêté allégeance, pas à Toghril.
— Je le sais. Je ne serai le vassal de personne. Mais s’il
unit ses forces aux nôtres, c’est moi qui profiterai le plus du marché. Pense à
Jelme, Arslan. Pense à son avenir. Nous sommes trop pleins de vie pour bâtir
chichement notre tribu. Progressons à pas de géant, risquons tout à chaque fois.
Préfères-tu attendre les Tatars les bras croisés ?
— Tu sais bien que non, répondit Arslan.
— Alors ma décision est prise, déclara Temüdjin d’un
ton exalté.
25
Wen Chao resta trois jours dans le camp pour discuter des
conditions de l’accord. Il laissa les barbares lui offrir des outres d’eau-de-vie
avant qu’il n’abaisse les tentures dorées de son palanquin et ne donne à Yuan
le signal du départ.
Derrière les rideaux de soie, l’ambassadeur se mit à se
gratter, persuadé qu’il avait attrapé des poux dans sa tente. L’épreuve avait
été rude, comme il s’y attendait, mais Temüdjin semblait aussi impatient de
faire la guerre aux Tatars que Toghril l’espérait. Rien d’étonnant, pensa Wen, balancé
doucement par ses porteurs. Les tribus se pillaient mutuellement, même en hiver.
Maintenant que le printemps faisait apparaître les premiers brins d’herbe sur
le sol froid, elles pilleraient de plus belle. Elles l’avaient toujours fait.
Wen se replongea dans la lecture de Xunzi, prenant de temps
à autre des notes dans la marge de ses rouleaux. Le ministre avait eu raison d’envoyer
chez les barbares un homme possédant ses talents de diplomate, se dit-il. Le
petit Zhang n’aurait jamais obtenu un tel accord, même en promettant des
chevaux et des armures. L’eunuque zézayant n’aurait sans doute pas su
dissimuler son dégoût pendant la cérémonie de mariage à laquelle Wen Chao avait
assisté la veille. Il frémit en se rappelant le lait chaud mêlé de sang qu’on
lui avait donné à boire. Xunzi aurait applaudi à la force de caractère qu’il
avait montrée. Cette Börte était aussi osseuse et dure que son époux. Pas du
tout au goût de Wen, même si le jeune pillard semblait la trouver attirante. Que
n’aurait-il donné pour une nuit avec l’une des femmes de la maison de thé !
Sur ces terres désolées,
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