Le loup des plaines
l’alignement et Temüdjin finit par se
demander s’il ne passait pas délibérément outre à ses ordres. Devant, les
Tatars s’agitaient et poussaient des cris qui se perdaient dans le vent. Le
soleil brillait, Temüdjin en sentait la chaleur sur son dos comme un don du
ciel. Il vérifia une fois de plus ses flèches dans son carquois. Il voulait
frapper les Tatars au galop et savait qu’il devait retarder le plus possible le
moment d’accélérer. Les Tatars descendaient vers le sud depuis au moins trois
lunes, chevauchant chaque jour. Il espérait qu’ils seraient moins frais que ses
guerriers, moins avides de tuer.
Quand il fut plus près, il porta son poids en avant, éleva
au petit galop le rythme des sabots qui frappaient le sol sous lui. Ses hommes
suivirent avec un ensemble parfait, bien qu’Eeluk s’efforçât une fois de plus d’être
le premier dans la mêlée. Temüdjin souffla dans son cor, s’attirant un coup d’œil
furieux d’Eeluk tandis que les Loups reprenaient l’alignement. Temüdjin
entendait les cris farouches de ses guerriers qui plissaient les yeux dans un
vent de plus en plus fort. Il encocha sa première flèche en sachant que, bientôt,
l’air en serait plein. L’une d’elles trouverait peut-être sa gorge et l’enverrait
mourir dans une dernière étreinte avec la terre. Sa peur se perdit dans sa
concentration. Les premiers traits fusèrent des rangs tatars mais il ne donna
pas le signal du galop. Il fallait attendre le dernier moment. Les deux armées
continuaient à se rapprocher.
Temüdjin talonna sa monture en poussant un cri. La jument
répondit en bondissant en avant. Peut-être éprouvait-elle la même excitation
que celui qui la montait. La ligne des cavaliers suivit et Temüdjin banda son
arc. Un instant, ce fut comme s’il tenait entre deux doigts le poids d’un homme
adulte mais sa main restait ferme. Il sentait le rythme du galop se communiquer
à son corps puis il y eut ce moment d’immobilité absolue quand les quatre
sabots de la jument quittèrent le sol.
Les Tatars étaient déjà au grand galop. Temüdjin risqua un
coup d’œil à ses hommes. Huit cents guerriers déferlaient dans la plaine sur
deux rangs, prêts à tirer. Grimaçant tant les muscles de ses épaules étaient
contractés, il lâcha sa première flèche.
Le bruit qui suivit ressembla à un unique claquement qui se
répercuta dans les collines environnantes. Des flèches volèrent dans le ciel
bleu, y parurent un instant suspendues avant de plonger vers les rangs tatars. Beaucoup
se perdirent, s’enfonçant dans le sol jusqu’à l’empennage. Beaucoup d’autres
déchirèrent de la chair et arrachèrent des cavaliers au monde.
La riposte vint aussitôt et Temüdjin vit des flèches s’élever
au-dessus de lui. Il n’en avait jamais tant vu, c’était comme une ombre passant
sur le soleil. Elles arrivèrent d’abord lentement puis parurent prendre de la
vitesse et il les entendit bourdonner tels des insectes. Ses doigts cherchèrent
à tâtons une seconde flèche et ses guerriers tirèrent à nouveau avant que les
traits tatars frappent leur ligne comme un coup de marteau.
Des hommes lancés au galop churent de leur selle, leurs cris
se perdant loin derrière en un instant. Temüdjin sentit quelque chose ricocher
sur sa cuisse, sur son épaule. Les traits n’avaient pas percé l’armure. Il
poussa un cri de triomphe et, quasiment debout sur ses étriers, décocha flèche
sur flèche. Malgré le vent qui gênait sa vision, il choisissait ses cibles et
tuait avec une frénésie sauvage.
Quelques moments seulement s’écoulèrent sans doute avant qu’ils
n’atteignent les premiers cavaliers tatars, mais ils semblèrent durer une
éternité. Temüdjin suspendit son arc à un crochet de selle pour le garder à
portée de main. C’était une des idées que ses officiers et lui avaient eues. Il
dégaina le sabre qu’Arslan avait forgé pour lui, entendit le crissement de la
lame quittant le fourreau. Chaque battement de cœur durait un siècle, il avait
le temps. Il saisit le cor accroché à son cou, le porta à sa bouche et souffla
trois fois. Du coin de l’œil, il vit les ailes s’avancer et, brandissant son
sabre à deux mains, se prépara à frapper.
Ils heurtèrent les premiers rangs des Tatars dans un énorme
fracas. Les cavaliers fonçaient les uns sur les autres à toute vitesse sans qu’un
seul s’écarte, et nombre d’entre eux furent projetés à bas de
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