Le loup des plaines
en route, il savait que Temüdjin
voulait sa mort. Il avait caressé l’idée d’accueillir parmi les Loups les
pillards survivants arrachés au cadavre de Temüdjin, et voilà qu’il se
retrouvait devant le khan des Olkhunuts. La prise s’annonçait cent fois plus
grande. Les esprits étaient peut-être avec lui cette fois.
— Quand les Tatars seront brisés, je me battrai contre
toi, déclara-t-il, les yeux brillants.
Temüdjin se leva tout à coup et de nombreuses mains se
portèrent vers la poignée d’un sabre. Immobile, Eeluk le regarda mais les yeux
du jeune khan étaient ailleurs.
Eeluk se retourna pour voir ce qui avait attiré l’attention
de Temüdjin. Hoelun marchait lentement vers eux, comme en transe. Lorsqu’il
découvrit la veuve de Yesugei, Eeluk se leva lui aussi, imité par Tolui.
Hoelun passait le bout de sa langue sur sa lèvre inférieure,
tache rouge sur une figure blême. Au moment où son regard croisa celui d’Eeluk,
elle se jeta en avant, le bras levé.
Kachium se glissa entre eux et empoigna fermement sa mère, qui
abattait sa main vers le visage du khan des Loups. Ses ongles ne firent que l’effleurer.
Silencieux, Eeluk sentit Temüdjin derrière lui. En se débattant, Hoelun cria à
son fils aîné :
— Comment peux-tu le laisser vivre après ce qu’il nous
a fait ?
— Il est invité dans mon camp, mère. Quand nous aurons
combattu les Tatars, je lui prendrai les Loups ou il aura les Olkhunuts.
Eeluk se retourna et Temüdjin lui adressa un sourire amer.
— N’est-ce pas ce que tu veux, Eeluk ? Ta tribu ne
me paraît pas plus nombreuse que lorsque tu nous as abandonnés dans la steppe, promis
à la mort. Avec toi, le père ciel s’est détourné des Loups mais cela changera.
Eeluk s’esclaffa en faisant jouer les muscles de ses épaules.
— J’ai dit tout ce que j’étais venu dire, répondit-il. Au
combat, tu sauras qu’un homme meilleur que toi tient ton aile. Après quoi, je
te donnerai une leçon et je ne te laisserai pas la vie une seconde fois.
— Retourne à ta yourte, Eeluk. Je commencerai à
entraîner tes hommes demain à l’aube.
À mesure que les Tatars descendaient dans la plaine verte, de
petites tribus fuyaient devant eux. Quelques-unes ne s’arrêtèrent même pas en
découvrant l’armée que Temüdjin avait rassemblée et l’évitèrent, points sombres
filant au loin entre les collines. D’autres ajoutèrent leur nombre à ses
guerriers et son armée se renforça chaque jour d’un mince apport de cavaliers
furieux. Temüdjin avait envoyé des messagers aux Naïmans, aux Oïrats, à toutes
les grandes tribus. Soit on ne put les trouver, soit elles ne voulurent pas
venir. Il comprenait leur réticence, même s’il la méprisait. Les tribus n’avaient
jamais combattu de concert. En avoir réuni trois était déjà stupéfiant. Elles s’étaient
entraînées ensemble jusqu’à ce qu’il les juge prêtes. Pourtant, le soir, il
avait fréquemment été appelé pour mettre fin à une querelle sanglante, pour
punir des bandes se battant en souvenir de griefs hérités des générations
précédentes.
Il ne s’était pas rendu dans le camp des Loups. Aucune des
familles n’était intervenue en faveur de sa mère quand Eeluk l’avait abandonnée
avec ses enfants. Autrefois, Temüdjin aurait donné n’importe quoi pour se
retrouver parmi ceux qu’il avait connus enfant, mais comme Hoelun l’avait
découvert avant lui, ils n’étaient plus les mêmes. Tant qu’Eeluk serait à leur
tête, un retour chez les Loups ne lui apporterait pas la paix.
Le vingtième jour après l’arrivée des Olkhunuts chez les
Kereyits, les éclaireurs rapportèrent que l’armée tatare était à l’horizon, à
moins d’un jour de marche. Elle poussait devant elle, comme un troupeau de
chèvres, une famille de vagabonds.
Temüdjin sonna le rassemblement et le silence se fit dans
les camps tandis que les guerriers embrassaient femmes et enfants avant de
monter à cheval. Un grand nombre d’entre eux avalaient à la hâte le pain fourré
de mouton qu’une fille ou une mère leur avait mis dans la main. Les ailes se
formaient, les Loups d’Eeluk à gauche, les Olkhunuts à droite sous le
commandement de Kachium et Khasar.
Temüdjin, occupant le centre avec les Kereyits, inspecta la
ligne de ses cavaliers et fut satisfait. Huit cents guerriers attendaient son
signal pour fondre sur l’ennemi. Les forges des Kereyits et des
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