Le loup des plaines
droit, laissant le vent sécher sa sueur. Tolui luttait en riant avec
deux guerriers loups qui essayaient de le renverser. Ils s’effondrèrent tous
les trois, bras et jambes entremêlés. Eeluk sentit sa peau se tendre sous le
sang séché. Lâchant son sabre, il se frotta le visage de ses deux mains
puissantes pour le débarrasser de la boue rouge de la bataille. Quand il releva
la tête, il découvrit Temüdjin et ses frères marchant vers lui.
Il grimaça avant de se pencher pour ramasser son arme. Bien
que le chariot fût haut, il sauta pour éviter d’en descendre en leur tournant
le dos. Il se reçut bien, fit face aux fils de Yesugei, un sourire aux lèvres. Temüdjin
et lui étaient les seuls khans à avoir assisté à la victoire. Si les Kereyits s’étaient
bien battus, leur chef gras et bouffi était resté en sécurité dans sa yourte, à
huit kilomètres au sud. Eeluk respira profondément et se calma en regardant
autour de lui. L’ayant vu sauter, les Loups se dirigeaient lentement vers lui. Les
Olkhunuts et les Kereyits avaient interrompu le pillage et approchaient, par
petits groupes, pour regarder ce qui allait se passer. La rumeur d’une vieille
querelle entre leurs chefs s’était répandue et ils ne voulaient pas manquer le
combat. Sous les chariots, les femmes gémissaient tandis que les guerriers, les
délaissant, gagnaient l’endroit où Eeluk et Temüdjin se faisaient face en
silence.
— C’est une grande victoire, dit Eeluk, parcourant des
yeux les hommes rassemblés.
Une centaine de ses Loups avaient survécu à la bataille mais
ils étaient cependant beaucoup moins nombreux que les guerriers des deux autres
tribus et Eeluk savait que l’affaire ne pouvait se régler qu’entre lui et Temüdjin.
— Il s’agit d’une vieille dette ! leur cria-t-il. Je
ne veux pas qu’il y ait de représailles !
Les yeux brillants, il regarda Temüdjin et poursuivit :
— Je n’ai pas voulu ce combat entre nous mais je suis
le khan des Loups et je ne m’y déroberai pas.
— Je revendique le peuple de mon père, dit Temüdjin. Je
ne vois pas de khan là où tu te tiens.
Avec un rire bref, Eeluk leva son sabre.
— Alors, je vais te le faire voir, répliqua-t-il.
Remarquant que Temüdjin avait ôté une partie de son armure, il
tendit sa paume ouverte devant lui. Temüdjin se tint prêt tandis qu’Eeluk
dénouait les plaques de cuir bouilli qui l’avaient protégé pendant la bataille.
Temüdjin écarta les bras, laissant ses frères faire la même chose pour lui, et
les deux hommes se retrouvèrent simplement en tunique, jambières et bottes. Chacun
d’eux cachait au mieux sa fatigue et s’inquiétait de la fraîcheur apparente de
l’autre.
Temüdjin leva son arme, les yeux rivés sur le sabre qu’Eeluk
tenait comme s’il ne pesait rien. Dans ses séances d’entraînement avec Arslan
ou Yuan, c’était toujours le visage d’Eeluk qu’il voyait, mais la réalité était
différente et il ne parvenait pas au calme dont il avait désespérément besoin. L’ancien
féal de son père paraissait étrangement plus grand. L’homme qui avait abandonné
la famille de Yesugei dans la steppe était un colosse d’une carrure
impressionnante sans son armure. Temüdjin secoua la tête comme pour chasser sa
peur.
— Approche, charogne, murmura-t-il.
Eeluk plissa les yeux.
Les deux hommes rompirent soudain leur immobilité absolue en
se jetant en avant. Temüdjin para le premier coup, sentit ses bras trembler
sous le choc. Sa blessure à la poitrine lui faisait mal et il s’efforçait de
maîtriser une rage qui, par son excès, menaçait sa vie. Eeluk poursuivit son
attaque, abattant son sabre comme un couperet avec une force terrible, obligeant
Temüdjin à faire un saut de côté ou à essuyer un coup terrible. Son bras droit
s’engourdissait déjà sous les impacts.
Les guerriers des trois tribus avaient formé un large cercle
autour d’eux mais ils ne poussaient ni cris ni acclamations. Leurs visages
formaient une tache floue pour Temüdjin qui tournait autour de son ennemi et
sautait agilement pour échapper au sabre d’Eeluk qui fendait l’air.
— Tu es plus lent qu’avant, le railla le jeune khan.
Eeluk, cramoisi, ne répondit pas. Il attaqua de nouveau mais
Temüdjin para et lui expédia son coude dans la figure. Eeluk riposta aussitôt
par un coup de poing dans la poitrine.
La douleur transperça Temüdjin, qui comprit qu’Eeluk avait
visé la tache
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