Le loup des plaines
rouge de sa tunique. Avec un grognement, il se rua en avant, la
fureur décuplée par la souffrance. Eeluk bloqua l’assaut, frappa de nouveau le
muscle blessé qui se remit à saigner. Temüdjin gémit, recula, mais, lorsque Eeluk
marcha vers lui, il s’écarta pour éviter le sabre de son père et frappa
violemment de son arme le bras de son ennemi, sous le coude. Porté à un homme
moins puissant, le coup aurait peut-être tranché l’avant-bras mais le corps d’Eeluk
était pétri de muscles. La blessure était quand même terrible et le sang
jaillit. Eeluk ne baissa pas les yeux vers sa main désormais inutile bien que
le sang coulât sur ses jointures et tombât à grosses gouttes.
Temüdjin hocha la tête, découvrit ses dents. Certain que son
adversaire s’affaiblirait, à présent, il ne se hâtait pas de conclure.
Eeluk chargea de nouveau. Le choc des lames faisait à chaque
fois trembler tout le corps de Temüdjin mais il exultait en sentant les forces d’Eeluk
décliner. Lorsqu’ils s’écartèrent l’un de l’autre, Temüdjin reçut un coup à la
cuisse droite qui lui paralysa la jambe et il resta immobile tandis qu’Eeluk
tournait autour de lui. Les deux hommes haletaient, épuisant les dernières
forces qu’ils avaient recouvrées après la bataille. Seules la volonté et la
haine les maintenaient encore face à face.
Par deux fois, le sabre d’Eeluk passa au ras du cou de Temüdjin.
Mais sa blessure au bras saignait toujours et il chancela soudain, le regard
vague, la peau plus pâle.
— Tu es en train de mourir, lui assena Temüdjin.
Sans répondre, Eeluk porta un nouvel assaut, hoquetant à
chaque inspiration. Temüdjin esquiva le premier coup, laissa le second lui
taillader le flanc pour frapper à son tour. Eeluk recula en titubant, blessé à
la poitrine. Il se plia, fléchit les genoux et faillit lâcher son sabre.
— Mon père t’aimait, dit Temüdjin en le fixant. Si tu
avais été loyal, tu serais aujourd’hui à mes côtés.
Le teint blême, Eeluk respirait avec peine.
— Mais tu as trahi sa confiance, poursuivit Temüdjin. Meurs
donc, Eeluk. Je n’ai plus rien à faire de toi.
Le khan des Loups voulut répondre mais aucun son ne sortit
de ses lèvres d’où coulait un filet de sang. Quand il mit un genou au sol, Temüdjin
rengaina son sabre et attendit. Eeluk s’accrocha un moment encore à la vie puis
s’écroula enfin sur le côté. Sa poitrine se souleva une dernière fois, s’immobilisa.
Un des Loups s’avança et Temüdjin se raidit, prêt à faire face à une nouvelle
attaque, mais il vit que c’était Basan et il hésita. L’homme qui lui avait
sauvé la vie s’approcha du cadavre et le regarda. Sans prononcer un mot, il se
pencha pour prendre le sabre à tête de loup, se redressa. Sous le regard de Temüdjin
et de ses frères, il tendit l’arme, poignée en avant. Temüdjin la saisit, sentit
son poids familier dans sa main. Il vacilla et ses frères se précipitèrent pour
le soutenir avant qu’il ne s’effondre.
— J’ai attendu longtemps pour voir ça, lui souffla
Khasar à l’oreille.
Se souvenant du coup de pied que Khasar avait décoché au
corps de Sansar, Temüdjin murmura :
— Traite Eeluk avec dignité. J’ai besoin de rallier les
Loups à moi et ils ne nous pardonneraient pas de profaner sa dépouille. Laissons-les
la porter dans les collines pour l’offrir aux faucons.
Il parcourut du regard les rangs silencieux des trois tribus.
— Je rentrerai ensuite au camp et je réclamerai ce qui
m’appartient. Je suis le khan des Loups.
Il savoura le goût de ces mots sur sa langue, et ses frères,
en les entendant, le serrèrent plus fort, sans rien montrer de leurs sentiments
à ceux qui les observaient.
— Je m’en occupe, dit Khasar. Il faut panser ta
blessure avant que tu te vides de ton sang.
Temüdjin hocha la tête, épuisé. Il se dit qu’il devrait s’adresser
aux Loups, qui paraissaient abasourdis, mais cela attendrait. De toute façon, ils
n’avaient nulle part ailleurs où aller.
34
Plus de deux cents guerriers avaient péri dans la bataille
contre les Tatars. Avant même que l’armée de Temüdjin quitte les lieux, le ciel
s’emplit de faucons, de vautours et de corbeaux. Les oiseaux s’abattaient sur
les cadavres et se disputaient leur chair avec des cris aigus. Temüdjin avait
donné l’ordre qu’on ne fasse aucune différence entre Kereyits, Olkhunuts et
Loups. Les chamanes des trois
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