Le loup des plaines
demanda-t-il à Temüdjin en
avançant d’un pas.
Incapable de se contenir plus longtemps, le garçon sourit et
plongea une main sous sa tunique.
— Kachium et moi en avons déniché deux, déclara-t-il
fièrement.
Le masque du père se brisa et lui aussi montra les dents, d’un
blanc éclatant sur sa peau sombre.
Avec précaution, Temüdjin tira les deux oisillons de sa
tunique et les posa, criaillant à la lumière du jour, dans les mains de son
père. Ne plus sentir leur chaleur contre sa peau fut aussitôt ressenti comme
une perte par le jeune Mongol, qui observait les moindres mouvements de l’oiseau
rouge avec des yeux de propriétaire.
— Allez voir votre mère, tous les cinq, ordonna Yesugei.
Excusez-vous de l’avoir effrayée et souhaitez la bienvenue à votre sœur.
Temüge avait franchi l’entrée de la yourte avant même que
son père eût fini sa phrase et tous entendirent l’exclamation de joie de Hoelun
quand elle vit son plus jeune fils. Kachium et Khasar suivirent, mais Temüdjin
et Bekter restèrent où ils étaient.
— L’un est un peu plus petit que l’autre, fit observer Temüdjin,
qui redoutait que son père le congédie. Comme il a du rouge dans son plumage, je
l’ai appelé l’oiseau rouge.
— C’est un beau nom, approuva le khan.
Temüdjin s’éclaircit la gorge.
— J’espérais le garder. Comme il y en a deux…
Yesugei posa sur son fils un regard impassible.
— Tends le bras.
Intrigué, le garçon obéit. Yesugei tint les deux aiglons
ligotés au creux d’un de ses bras et, de l’autre, appuya fortement sur celui de
Temüdjin, le contraignant à le baisser.
— Ils pèsent aussi lourd qu’un chien quand ils sont
grands. Tu serais capable de tenir un chien sur ton poignet ? Non. C’est
un magnifique présent et je t’en remercie. Mais l’oiseau rouge n’est pas pour
un enfant, même s’il est mon fils.
Devant son rêve piétiné, Temüdjin sentit des larmes lui
piquer les yeux. Apparemment insensible à la détresse et à la colère de son
fils, Yesugei fit signe à Eeluk d’approcher. Temüdjin trouva sournois et
déplaisant le sourire du guerrier qui les rejoignait.
— Tu t’es montré le meilleur de mes hommes, lui dit
Yesugei. L’oiseau rouge est à toi.
Les yeux écarquillés, Eeluk prit l’oisillon avec respect, sans
plus songer aux garçons.
— Tu m’honores, répondit-il en inclinant la tête.
Yesugei eut un rire sonore et reprit :
— Nous chasserons à l’aigle ensemble. Ce soir, je veux
de la musique et des chants pour les deux aigles qui sont venus aux Loups.
Il se tourna vers Temüdjin.
— Il faut que tu racontes ton escalade au vieux
Chatagai pour qu’il en fasse un chant.
Ne pouvant supporter de voir l’oiseau rouge dans les mains d’Eeluk,
Temüdjin ne répondit pas. À la suite de Bekter, il pénétra dans la tente pour
rejoindre ses frères auprès de Hoelun et de la petite sœur. Les garçons
entendirent leur père appeler ses hommes à venir admirer ce que ses fils lui
avaient apporté. Il y aurait une fête ce soir et, cependant, les regards qu’ils
échangeaient trahissaient leur malaise. Le plaisir de leur père leur importait
beaucoup mais l’oiseau rouge appartenait à Temüdjin.
Ce soir-là, la tribu alluma un feu de crottes de mouton et
de chèvre séchées pour faire rôtir un mouton et chauffer de grandes marmites. Le
barde Chatagai chanta la découverte des deux aiglons sur le mont Rouge d’une
voix mêlant étrangement le grave et l’aigu. Les jeunes de la tribu poussèrent
des acclamations et pressèrent Yesugei de montrer encore et encore les
oisillons pleurant pitoyablement leur nid perdu.
Assis autour du feu dans l’obscurité, les garçons qui
avaient escaladé le mont Rouge acceptèrent les coupes d’airag noir qu’on leur
offrait. Khasar devint pâle et silencieux après la deuxième ; à sa
troisième, Kachium grogna et bascula lentement en arrière, laissant tomber sa
coupe dans l’herbe. Temüdjin fixait les flammes, aveugle à tout le reste, et n’entendit
pas son père approcher. L’airag avait chauffé son sang qu’il sentait
bouillonner en lui.
Yesugei s’assit près de ses fils, croisa en tailleur ses
jambes puissantes. Il portait un deel doublé de fourrure pour le
protéger du froid de la nuit mais, dessous, sa poitrine était nue. L’airag
suffisait à lui tenir chaud et il avait toujours prétendu qu’un khan ne sent
pas le froid.
— Ne
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