Le loup des plaines
fille qu’on choisira
pour toi.
— Gentil ? répéta Temüdjin.
Pour la première fois depuis que son père lui avait annoncé
sa décision, il ressentit un pincement de nervosité. Il y avait quelque part
une inconnue qui serait sa femme et porterait ses enfants. Il ne parvenait pas
à imaginer comment elle serait ni même à savoir ce qu’il attendait d’une telle
femme.
— J’espère qu’elle sera comme toi, dit-il, songeur.
Hoelun sourit et le serra de nouveau contre elle avec une vigueur
qui fit pousser des cris indignés à la petite sœur.
— Tu es un bon garçon et tu feras un bon mari, prédit-elle.
Étonné, il vit des larmes briller dans les yeux de sa mère et
se sentit ému lui aussi. Ses défenses s’écroulaient et il craignit d’être
humilié devant Yesugei et Eeluk. Un homme en passe d’être fiancé ne pleurniche
pas sur l’épaule de sa mère.
Hoelun pressa brièvement la nuque de son fils puis s’éloigna
pour aller murmurer un dernier mot à son mari. Le khan des Loups soupira, hocha
la tête et monta à cheval. Son fils sauta agilement sur sa selle.
— Temüdjin ! entendit-il.
Il sourit en faisant tourner Patte-Blanche d’une légère
pression des genoux. Ses frères s’étaient enfin réveillés et venaient lui dire
au revoir. Temüge et Khasar se pressèrent contre ses étriers, levant vers lui
des regards empreints d’adoration. Kachium cligna des yeux dans la lumière en
prenant le temps d’examiner un sabot du cheval. Ils formaient un groupe bruyant
et plein de vie dont la présence dénoua un peu l’angoisse qui l’étreignait.
Bekter sortit à son tour de la tente, impassible, mais Temüdjin
décela une lueur de triomphe dans son regard vide. Bekter avait sans doute
pensé lui aussi que les choses seraient plus faciles pour lui en l’absence de
son frère. Temüdjin avait bien du mal à ne pas se faire du souci pour les trois
petits, mais il ne voulait pas leur faire honte en exprimant ses craintes. Les
osselets avaient été jetés, définissant l’avenir de chacun d’eux. Un homme fort
courbait le ciel à sa convenance mais uniquement pour lui, il le savait. Ses
jeunes frères ne devaient compter que sur eux-mêmes.
Il leva une main pour un dernier au revoir à sa mère et mit
Patte-Blanche au trot près du cheval de son père. Il ne regarda pas derrière
lui, il ne l’aurait pas supporté. Les bruits du réveil de la tribu et les
hennissements des chevaux s’estompèrent rapidement et, bientôt, il n’entendit
plus que le grondement des sabots et le tintement des harnais. Il quittait les
siens.
Yesugei chevauchait en silence tandis que le soleil se
levait devant eux. Le campement de la tribu de Hoelun était plus proche du leur
qu’il ne l’avait été ces trois dernières années et il ne s’agissait que d’un
voyage de trois jours seul avec son fils. Au terme de ces trois journées, il
saurait si ce garçon avait l’étoffe d’un chef. Avec Bekter, une seule avait
suffi. Son fils aîné n’était pas une flamme ardente mais la tribu avait besoin
d’une main ferme et Bekter était en train de devenir un homme solide.
Il avait pris plaisir à chevaucher avec Bekter, même s’il
avait cherché à le cacher. Il était difficile de savoir comment transformer un
jeune garçon en meneur d’hommes, mais ce n’était en tout cas pas en le
dorlotant ou en le laissant s’amollir. Il leva les yeux au ciel en pensant au
gros Temüge resté au camp. Si le garçon n’avait pas quatre frères vigoureux, Yesugei
l’aurait soustrait à l’influence de sa mère, peut-être pour le confier à une
autre tribu. Il n’était pas encore trop tard pour qu’il le fasse à son retour.
Yesugei fut dérangé dans ses réflexions par l’attitude de Temüdjin
qui, sensible à la nouveauté du paysage qu’il traversait, ne cessait de tourner
nerveusement la tête. Bekter avait été un compagnon paisible mais il y avait
quelque chose dans le silence de Temüdjin qui l’irritait.
Pour ne rien arranger, le chemin de la tribu des Olkhunuts
passait près du mont Rouge et Yesugei ne pouvait que songer au rôle que son
fils avait joué dans la capture des aiglons. Il sentit le regard de son enfant
sur lui mais cet entêté refusait de lui offrir une ouverture. Avec un
grognement exaspéré, le khan se demanda pourquoi son humeur s’aigrissait par
une aussi belle journée.
— Tu as eu de la chance de parvenir au nid à cette
hauteur,
Weitere Kostenlose Bücher