Le loup des plaines
bois pas trop, conseilla-t-il à Temüdjin. Tu t’es
montré déjà prêt à être traité en homme. J’accomplirai demain mes devoirs de
père envers toi en te conduisant chez les Olkhunuts, la tribu de ta mère.
Son fils leva les yeux vers lui mais le sens de son regard d’or
pâle échappa totalement au khan.
— Nous verrons leurs filles les plus belles et nous en
trouverons une pour réchauffer ta couche quand le sang lui viendra, continua-t-il
en tapotant l’épaule de Temüdjin.
— Et je resterai là-bas pendant qu’Eeluk élèvera l’oiseau
rouge, répondit le garçon d’une voix morne.
Le ton froid du fils parvint à percer l’ivresse du père, qui
fronça les sourcils.
— Tu feras ce que je te dis, gronda-t-il.
Il frappa Temüdjin à la nuque, peut-être plus durement qu’il
ne l’avait voulu. L’enfant bascula en avant, se redressa et regarda son père, mais
Yesugei ne s’intéressait déjà plus à lui et applaudissait Chatagai qui remuait
ses vieux os en une danse, ses bras fendant l’air comme des ailes d’aigle. Au
bout d’un moment, le khan sentit que son fils l’observait toujours et se tourna
vers lui.
— Je manquerai le rassemblement des tribus, les courses,
dit le garçon, luttant pour refouler des larmes de colère.
Impénétrable, Yesugei le toisa.
— Les Olkhunuts se rendront comme nous au rassemblement.
Tu auras Patte-Blanche. Ils te laisseront peut-être courir contre tes frères.
— Je préférerais rester ici, répondit Temüdjin, prêt à
recevoir un autre coup.
Son père ne parut pas l’entendre.
— Tu passeras un an chez eux, comme Bekter. Ce sera dur
pour toi mais tu en garderas de nombreux bons souvenirs. Inutile de te
recommander de graver dans ta mémoire le nombre de leurs hommes et de leurs
armes.
— Nous n’avons pas de querelle avec les Olkhunuts, souligna
Temüdjin.
— L’hiver est long, rappela le khan avec un haussement
d’épaules.
4
La tête de Temüdjin palpitait dans la faible lumière de l’aube
tandis qu’Eeluk et son père chargeaient les chevaux de vivres et de couvertures.
Hoelun allait et venait, portant sous son manteau son bébé accroché à son sein.
Yesugei et elle échangèrent quelques mots à voix basse puis il se pencha vers
elle et pressa son visage au creux de son cou. Ce rare moment de tendresse
entre ses parents ne fit rien pour dissiper l’humeur sombre de Temüdjin. Ce
matin-là, il haïssait son père avec toute la force dont un garçon de douze ans
peut être capable.
Le visage fermé, il continua à graisser les harnais de sa
bête, à vérifier chaque attache et chaque nœud du collier et des étriers. Il ne
voulait donner à Yesugei aucune raison de le critiquer devant ses jeunes frères.
D’ailleurs, ils ne se montraient toujours pas. La tente était silencieuse après
la beuverie de la veille. On entendait seulement l’aiglon doré réclamer à
manger et ce fut Hoelun qui, tête baissée, retourna à l’intérieur pour lui
donner un morceau de viande crue. Elle aurait pour tâche de le nourrir pendant
l’absence du khan mais, pour le moment, elle veillait avant tout à ce que son
mari ne manque de rien pendant le voyage.
Les chevaux hennissaient pour saluer un nouveau jour. Dans
ce cadre paisible, Temüdjin, renfrogné, attendait un prétexte pour laisser
libre cours à ses sentiments. Il n’avait pas envie de se trouver une épouse
bête comme une vache, il voulait élever des étalons et chevaucher avec l’oiseau
rouge, connu et craint. Il ressentait ce voyage comme une punition, bien qu’il
sût que Bekter était parti avant lui et revenu. Lorsque Temüdjin serait de
retour, la fiancée de son frère serait peut-être déjà installée dans une tente
avec son nouveau mari et Bekter serait un homme aux yeux des guerriers.
Bekter était en partie responsable de l’humeur noire de Temüdjin.
Il avait pris l’habitude de taquiner l’orgueil de son frère aîné et de veiller
à ce qu’il ne devienne pas trop clairement le préféré de leur père. Temüdjin
savait qu’en son absence Bekter serait traité en héritier. Au bout d’un an, son
propre droit à succéder à son père serait presque oublié.
Cependant, que pouvait-il y faire ? Il connaissait l’opinion
de Yesugei sur les fils désobéissants. S’il refusait de partir il se ferait
rosser, et s’il s’obstinait, il pourrait bien être chassé de la tribu. Yesugei
proférait souvent cette menace quand les
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