Le loup des plaines
garçons étaient trop turbulents ou se
battaient entre eux avec trop de violence. Comme il ne souriait jamais en
prononçant ces mots, ils ne les prenaient pas à la légère. Temüdjin frissonna
en y songeant. Devenir un vagabond sans nom était un sort cruel. Personne pour
garder votre troupeau pendant votre sommeil, personne pour vous aider à gravir
une colline. Seul, il mourrait de faim ou se ferait plus probablement tuer en
tentant de voler des vivres à une tribu.
Dans ses plus anciens souvenirs, il se chamaillait
joyeusement avec ses frères sous la tente. Dans la tribu, on n’était jamais
seul et il imaginait mal ce que cela pouvait être. Temüdjin secoua la tête pour
chasser cette pensée, reporta son attention sur son père et Eeluk qui tendaient
les cordes retenant les sacs chargés sur leurs bêtes.
Lorsqu’ils eurent terminé, il passa devant Eeluk et vérifia
les nœuds sur son cheval. Le féal de son père se raidit mais Temüdjin se
moquait de blesser ses sentiments. Yesugei lui avait suffisamment répété qu’un
homme ne doit pas s’en remettre aux capacités d’un inférieur. Le garçon n’osa
toutefois pas vérifier les nœuds de Yesugei. Les réactions du khan étaient trop
imprévisibles. Il pouvait trouver ça amusant ou assommer son fils pour son
impudence.
Temüdjin plissa le front en pensant au voyage qui l’attendait :
chevaucher avec son père pour seule compagnie, sans un de ses frères pour
rompre les silences. Avec un haussement d’épaules, il se dit qu’il endurerait
ce désagrément comme il en avait enduré d’autres. Qu’était-ce, sinon une
épreuve de plus ? Il avait essuyé de nombreux orages, ceux de Yesugei et
ceux du père ciel. Il avait souffert de la soif et de la faim jusqu’à être
tenté de se mordre pour goûter à son propre sang. Il avait connu des hivers où
les bêtes mouraient de froid et des étés qui brûlaient la peau, la couvrant de
grosses ampoules jaunes. Son père avait tout supporté sans se plaindre et fait
preuve d’une inépuisable énergie qui redonnait courage à tous ceux qui l’entouraient.
Même Eeluk perdait son expression revêche en présence de Yesugei.
Temüdjin se tenait raide et pâle près de son cheval comme un
jeune bouleau argenté quand Hoelun passa sous le cou de l’animal et prit son
fils dans ses bras. Il sentit le bébé se tortiller contre elle, perçut une
odeur douceâtre de lait et de graisse de mouton. Lorsqu’elle le relâcha, la
petite sœur se mit à brailler, le visage écarlate, et Hoelun fourra de nouveau
le mamelon de son sein dans la bouche avide. Puis elle se tourna vers Yesugei
qui, fier et silencieux, fixait l’horizon. Elle soupira et lui lança :
— Arrête donc.
Il sursauta et se retourna, les joues empourprées.
— Qu’est-ce que tu… commença-t-il.
— Tu sais parfaitement de quoi je parle, l’interrompit-elle.
Tu n’as pas eu un mot gentil pour ton fils et tu comptes chevaucher trois jours
avec lui en silence ?
Il eut un geste agacé de la main mais Hoelun n’en avait pas
terminé avec lui.
— Tu lui as pris son aiglon, tu l’as donné à ton
horrible féal. Tu t’attendais à ce que ton fils en rie et te remercie ?
Par-dessus l’épaule d’Eeluk, Yesugei regarda comment Temüdjin
réagissait aux propos de sa mère.
— Il est trop jeune, marmonna-t-il.
— Il est en âge de se fiancer, répliqua Hoelun d’une
voix sifflante. Il est jeune et trop fier, exactement comme son cabochard de
père. Il te ressemble tellement que tu ne le vois même pas.
Yesugei ne répondit pas et Temüdjin ne sut que dire quand sa
mère se tourna vers lui.
— Il écoute, tu sais, même s’il prétend ne rien
entendre, murmura-t-elle à son fils. Là-dessus, il est comme toi.
Elle lui caressa la joue de ses doigts forts.
— N’aie pas de méfiance envers ceux de ma tribu, ils
ont un cœur généreux. Garde toutefois les yeux baissés en croisant les jeunes
hommes. Ils te mettront à l’épreuve mais tu ne dois pas avoir peur.
Les yeux jaunes de Temüdjin flamboyèrent.
— Je n’ai pas peur, répliqua-t-il.
Elle attendit et l’expression de défi de son fils s’adoucit
légèrement.
— D’accord, moi aussi j’écoute, grommela-t-il.
D’une de ses poches, elle tira un sac de morceaux de lait
caillé et le lui mit dans la main.
— Il y a une outre d’airag noir dans ton sac de selle, contre
le froid, dit-elle. Deviens fort, et sois gentil avec la
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