Le loup des plaines
trois
de ses frères d’armes.
— Tu aurais dû amener plus de guerriers pour tuer un
khan, le railla Yesugei. Cinq, c’est une insulte envers moi.
Il mit un genou en terre pour esquiver l’attaque d’Ulagan et,
d’un geste preste, lui entailla le mollet. La blessure n’était pas mortelle
mais le sang inonda la botte d’Ulagan, qui perdit soudain un peu de sa superbe.
Yesugei se redressa, fit un pas à droite, puis un autre à
gauche pour dérouter ses deux derniers adversaires. Il s’entraînait chaque jour
avec Eeluk, il savait que rester en mouvement est la clef pour tuer avec un
sabre. N’importe qui peut brandir un sabre au-dessus de sa tête, mais l’agilité
des jambes distingue le maître du combattant ordinaire. Avec un sourire, il
regarda Ulagan avancer en boitant, l’invita d’un geste à approcher encore. Le
Tatar fit signe à son dernier guerrier, qui s’écarta en tournant pour le
prendre à revers. Ne pouvant plus reculer, Yesugei jaillit en avant, planta son
sabre dans le torse de l’homme mais la lame se prit dans les côtes tandis qu’il
tentait de la retirer et Ulagan frappa de toutes ses forces. Cette fois, la
lame perça la cotte de mailles et s’enfonça dans la poitrine du khan. Son sabre
lui échappa. Songeant à ses fils, il eut un pincement au cœur plus douloureux
que sa blessure, trouva néanmoins la force de saisir Ulagan de sa main droite
et de dégainer de la gauche la dague accrochée à sa ceinture.
Ulagan se débattit mais l’étreinte du khan était d’acier. Baissant
la tête vers le jeune guerrier, il lui cracha au visage.
— Ton peuple sera effacé de la terre pour ce crime, Tatar.
Tes tentes brûleront, tes troupeaux seront dispersés…
D’un geste vif, il lui trancha la gorge et laissa son corps
s’écrouler. Le sabre du Tatar ressortit alors de la blessure de Yesugei, qui
hurla de douleur et tomba à genoux. Il sentit du sang couler sur ses cuisses et
se redressa pour couper une grande bande de tissu dans son deel avec sa
dague puis, fermant les yeux maintenant qu’il n’y avait plus personne à voir, il
maudit sa souffrance. Son cheval tirait sur ses rênes avec des hennissements de
peur. L’odeur du sang effrayait l’animal, à qui Yesugei s’efforça de parler
calmement. Si le hongre se libérait et s’enfuyait, Yesugei ne rentrerait jamais
chez les siens, il le savait.
— Tout va bien, petit, lui murmura-t-il. Ils ne m’ont
pas tué. Tu te rappelles le jour où Eeluk est tombé à la renverse sur un jeune
arbre brisé qui lui a embroché le dos ? Il a survécu, cependant, grâce à l’airag
bouillant qu’on a versé sur sa plaie.
Yesugei se souvint que son féal, d’ordinaire taciturne, avait
poussé des cris aigus comme un enfant. Sa voix parut calmer le hongre, qui
cessa de tirer sur ses rênes.
— À la bonne heure, petit. Tu restes avec moi pour me
porter jusqu’aux miens.
Malgré les vertiges qui menaçaient de le submerger, il
enroula la bande autour de sa poitrine et la noua solidement. Puis il renifla
ses mains, grimaça en sentant l’odeur que la lame d’Ulagan y avait laissée. Rien
que pour cela, ces hommes avaient mérité leur mort.
Il s’agenouilla et décida de rester un moment dans cette
position, le dos droit. Le sabre de son père était près de sa main et le
contact du métal froid le réconforta un peu. Peut-être pouvait-il demeurer un
moment à cet endroit pour reprendre des forces et regarder le soleil se lever. Mais
il savait au fond de lui qu’il ne fallait pas perdre un instant s’il voulait
sauver la vie de Temüdjin. Il devait rejoindre les Loups et envoyer des
guerriers chercher son fils. Il fallait absolument qu’il retourne chez les
Loups. Bien que son corps lui parût lourd et inutile, il rassembla de nouveau
ses forces.
Avec un gémissement de détresse, il se mit debout, marcha d’un
pas incertain vers le hongre qui l’observait de ses yeux écarquillés. Il appuya
le front contre le cou de l’animal et, haletant de douleur, glissa le sabre
dans les lanières de selle. De ses doigts gourds, il dénoua les rênes, parvint
tant bien que mal à se mettre en selle. Il savait qu’il ne réussirait jamais à
descendre la pente raide par laquelle il était venu, mais l’autre versant était
plus facile et il talonna les flancs de sa monture, le regard fixé sur la
vision lointaine de son foyer, de sa famille.
8
Quand le soir tomba, Bekter laissa sa jument paître tandis
que,
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