Le loup des plaines
qu’il put. Au bout d’un moment il ferma les yeux et sa bouche amollie s’ouvrit
sur de solides dents jaunes.
Le khan tendit l’oreille pour guetter un signe indiquant que
ses poursuivants n’avaient pas renoncé. Il leur serait difficile d’approcher
sans qu’il les entende sur un terrain aussi accidenté. Il dénoua la lanière de
cuir qui maintenait son sabre dans son fourreau, le dégaina d’un geste coulé, examina
la lame. Elle était d’acier fin et constituait à elle seule un butin assez
précieux pour attirer les voleurs. Avec Eeluk à ses côtés, il aurait défié les
cinq hommes dans la plaine, mais cinq à lui seul, c’était probablement trop, même
pour le khan des Loups, à moins qu’il n’eût affaire à des freluquets non
aguerris qu’on pouvait faire détaler avec un beuglement et quelques entailles. Le
sabre de son père était parfaitement aiguisé, et c’était tant mieux parce qu’il
ne pouvait pas courir le risque que les autres l’entendent l’affûter sur une
pierre. Il but quelques gorgées d’eau à sa gourde, dont la légèreté lui fit
faire la grimace. Le hongre aurait soif le lendemain matin. Si les ruisseaux
proches étaient à sec, Yesugei connaîtrait une rude journée, que les cavaliers
le repèrent ou non. Il haussa les épaules : il avait connu pire.
Le khan s’étira et bâilla, sourit au cheval endormi en
tirant de son sac de selle du mouton séché qu’il se mit à mâcher, savourant le
goût épicé. Hoelun et les garçons lui manquaient ; il se demanda ce qu’ils
faisaient en ce moment.
Il s’allongea et, glissant les mains sous son deel pour dormir, il espéra que Temüdjin serait capable de supporter les Olkhunuts. Difficile
de savoir si le garçon aurait la force de caractère requise à un âge aussi
jeune. Yesugei n’aurait pas été surpris d’apprendre que son fils s’était enfui.
Ce serait une honte pénible à vivre et la nouvelle se répandrait parmi les
tribus en moins d’une saison. Il fit une prière silencieuse pour que le père
ciel vienne en aide à Temüdjin. Bekter avait souffert, il le savait. Son fils
aîné parlait des Olkhunuts en termes peu flatteurs quand Hoelun ne pouvait l’entendre.
C’était la seule façon de parler d’eux, bien sûr. Yesugei remercia le père ciel
de lui avoir donné une aussi magnifique couvée de fils et c’est le sourire aux
lèvres qu’il commença à glisser dans le sommeil. Il avait la chance d’avoir une
semence prolifique et une épouse robuste pour la porter. Il connaissait d’autres
femmes qui perdaient un misérable tas de chair rouge pour chaque enfant qui
sortait vivant de leur ventre. Ceux de Hoelun avaient tous survécu et ils
étaient devenus vigoureux. Gros, dans le cas de Temüge, ce qui constituait un
problème qu’il lui restait à régler.
Il s’endormit enfin et sa respiration se fit lente et
régulière.
Lorsque ses yeux s’ouvrirent, les premières lueurs du jour
poignaient à l’est, soulignant d’une bande dorée les collines lointaines. Yesugei
aimait cette terre et, un moment, il fut reconnaissant d’avoir vu se lever une
aube de plus. Puis il entendit des hommes bouger à proximité et sa respiration
se bloqua dans sa gorge. Il se souleva du sol froid, s’arrachant quelques
cheveux restés collés par le givre. Il avait dormi avec son sabre nu sous son deel , les doigts refermés sur la poignée. Il fallait qu’il se lève et qu’il
bouge pour que les autres ne le surprennent pas engourdi, mais il ne savait pas
encore s’ils l’avaient repéré. Il fit aller son regard à droite puis à gauche, les
sens en alerte, cherchant la source du bruit. La possibilité que ce ne soit qu’un
berger à la recherche d’une chèvre égarée était peu probable. Il entendit un
cheval s’ébrouer puis son hongre s’éveilla et hennit, comme il l’avait craint. La
jument d’un de ses poursuivants répondit, à moins de cinquante pas sur sa
droite. Yesugei se leva tel un filet de fumée, décrocha son arc et y fixa la
corde, prit une longue flèche dans son carquois. Seul Eeluk tirait plus vite
que lui et il était sûr de ses yeux. Si les cavaliers avaient des intentions
hostiles, il en abattrait un ou deux avant qu’ils soient à portée de sabre. Il
savait repérer les chefs pour ces premiers coups faciles, délaissant les hommes
les plus faibles pour les affronter ensuite avec sa lame.
Maintenant qu’ils connaissaient sa position, les
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