Le loup des plaines
tout comme ses frères n’étaient que des gamins à ses yeux.
Dans le soir tombant, il vit un point sombre progressant
dans la plaine. Il se leva aussitôt, tira son cor des plis de son deel. Il
hésita en le portant à ses lèvres, chercha du regard une menace plus précise qu’un
unique cavalier. Du promontoire qu’il avait choisi, il découvrait la vaste
étendue herbeuse, et l’homme, quel qu’il fût, semblait être seul. Bekter
espérait que ce n’était pas un de ses imbéciles de frères qui avait quitté le
camp sans prévenir personne. Cela ne rehausserait pas son statut dans la tribu
s’il dérangeait les guerriers dans leur repas sans raison valable.
Il décida d’attendre que la petite silhouette se rapproche. À
l’évidence, le cavalier solitaire n’était pas pressé. Bekter voyait le cheval
avancer lentement, comme si l’homme qui le montait errait sans but.
Cette pensée lui fit plisser le front. Il y avait des hommes
qui n’avaient d’allégeance envers aucune tribu et dérivaient d’une famille à l’autre,
échangeant une journée de travail contre un repas, troquant à l’occasion
quelques marchandises. Ils n’étaient pas aimés car on craignait toujours qu’ils
ne volent tout ce qui leur tomberait sous la main avant de disparaître. On ne
pouvait pas se fier à un homme sans tribu, Bekter le savait, et il se demanda
si le cavalier n’en était pas un.
Le soleil avait glissé derrière les collines et la nuit
tombait rapidement. Bekter se dit qu’il devait sonner de son cor avant que l’inconnu
se perde dans l’obscurité. Il le porta à sa bouche, hésita de nouveau. Quelque
chose dans la silhouette lointaine le retint. Ce ne pouvait quand même pas être
Yesugei. Son père n’aurait jamais aussi mal monté.
Il avait attendu presque trop longtemps quand il donna enfin
l’alarme. Le ululement long et lugubre se répercuta entre les collines. Les
cors d’autres guetteurs postés autour du camp lui répondirent et il hocha la
tête, satisfait. À présent que l’alerte était donnée, il pouvait descendre voir
qui était ce cavalier. Il sauta sur sa jument, vérifia que son arc et son
couteau étaient à portée de main. Dans le silence du soir, il entendait déjà
les cris des guerriers se précipitant hors des tentes, les hennissements des
chevaux. Bekter accéléra l’allure dans la pente pour arriver avant Eeluk et les
autres adultes. Ce cavalier lui appartenait, c’était lui qui l’avait repéré. Parvenu
dans la plaine, il lança sa jument au galop, sans plus penser aux Olkhunuts et
à sa fiancée. Le cœur battant, il était impatient de montrer aux autres qu’il
était capable de les conduire.
Les Loups se ruèrent hors du camp, Eeluk à leur tête. Dans
les dernières lueurs du jour, ils virent Bekter mettre sa monture au galop et
le suivirent, sans voir encore la raison pour laquelle il avait sonné l’alarme.
Eeluk envoya une dizaine de cavaliers à droite et à gauche
du camp au cas où une attaque surviendrait d’une autre direction. Il ne fallait
pas laisser les yourtes sans défense en galopant vers un leurre ou une
diversion. Leurs ennemis étaient assez retors pour attirer les guetteurs par
une ruse et donner ensuite l’assaut, les derniers moments du crépuscule
ajoutant encore à la confusion. Eeluk trouvait étrange de chevaucher sans avoir
Yesugei à sa gauche mais il s’aperçut qu’il aimait la façon dont les autres s’en
remettaient à lui. D’un ton sec, il donna des ordres, l’ arban se forma
derrière lui et prit le sillage de Bekter.
Le cor se fit à nouveau entendre devant et Eeluk plissa les
yeux. On n’y voyait presque plus. En galopant dans cette obscurité, il mettait
en péril sa jument et sa vie mais il talonnait les flancs de sa monture, convaincu
que Bekter n’aurait pas soufflé une seconde fois dans son cor s’il n’y avait eu
un réel danger. Eeluk saisit son arc, encocha une flèche à tâtons, comme il l’avait
fait un millier de fois. Les hommes qui le suivaient firent de même. Ceux qui
auraient l’audace d’attaquer les Loups essuieraient un déluge de traits
vrombissants avant d’approcher du camp. Les Loups chevauchaient en silence, dressés
sur leurs étriers, parfaitement en équilibre sur la houle de leurs montures. Eeluk
sentait en lui l’excitation de l’assaut.
Qu’ils entendent le tonnerre de nos sabots, se dit-il. Qu’ils
craignent des représailles.
Dans le noir, les cavaliers
Weitere Kostenlose Bücher