Le loup des plaines
cavaliers
ne faisaient plus le moindre bruit et il attendit patiemment qu’ils se montrent.
Yesugei avait le soleil dans le dos et, après un instant d’hésitation, il défit
son deel et le retourna. Son cœur palpita dans sa gorge quand il posa
sur le sol arc et sabre mais l’envers du vêtement se fondrait mieux dans les
buissons que le bleu de l’endroit et ferait de lui une cible difficile. Il
ramassa ses armes, se tint aussi immobile que les arbres et les arbustes qui l’entouraient.
Le sommeil n’était plus qu’un souvenir et son sang coulait rapidement sous sa
peau. Malgré le danger, il prenait plaisir à ce moment de tension.
— Ohé, du camp ! appela une voix sur la gauche.
Yesugei jura intérieurement : il était encerclé.
Sans réfléchir, il s’enfonça dans le bois en direction de la
voix. Les hommes qui l’avaient pris en chasse, quels qu’ils soient, ne le
tueraient pas facilement, il s’en fit la promesse. L’idée le traversa qu’ils ne
lui voulaient peut-être aucun mal mais il fallait être fou pour risquer sa vie,
son cheval et le sabre de son père sur un vague espoir. Dans la steppe, même un
homme fort ne survivait qu’en étant prudent et le khan savait qu’il ferait une
prise de choix pour un groupe de pillards, qu’ils le sachent ou non pour l’heure.
Une goutte de sueur coula de la naissance de ses cheveux.
— Je ne le vois pas, dit un autre homme, à quelques
mètres seulement.
— Son cheval est là, pourtant, fit observer un
troisième d’une voix plus grave.
Ils paraissaient tous jeunes et montraient cependant une
habileté de traqueur étonnante. Aussi près qu’ils fussent, il ne les entendait
pas bouger. Yesugei s’accroupit, banda son arc. Avec des précautions infinies, il
tourna la tête pour regarder derrière lui. À travers les buissons, il vit un
homme dénouer les rênes du hongre. Le khan grimaça en silence. Il ne pouvait
les laisser voler son cheval et l’abandonner à son sort.
Il prit une inspiration, se dressa de toute sa hauteur. L’homme
qui se trouvait près du hongre sursauta, tendit une main vers sa dague, arrêta
son geste en voyant l’arc bandé.
— Nous ne te cherchons pas querelle, vieil homme, déclara
l’inconnu d’une voix forte.
Yesugei savait qu’il alertait ses compagnons et un
bruissement sur sa droite fit battre son cœur plus vite.
— Alors, montrez-vous, que je vous voie.
Le bruit cessa. Le jeune homme qui semblait si vaillant sous
la menace de l’arc hocha la tête.
— Faites ce qu’il dit. Je ne veux pas recevoir une
flèche avant d’avoir mangé.
— Appelle les autres avant de bouger, répliqua Yesugei.
Sinon, tu es mort.
La vaillance de l’inconnu se lézarda devant la pointe de
flèche qui demeurait braquée sur son cœur.
— Venez tous ! cria-t-il.
Les yeux plissés, Yesugei regarda les quatre autres sortir
bruyamment des broussailles. Deux d’entre eux avaient une flèche à leur arc, prêts
à tirer. Ils étaient tous armés et vêtus d’épais deels matelassés, le
genre de vêtement empêchant un trait de pénétrer trop profondément. Yesugei
reconnut la broderie qui les ornait et se demanda si eux aussi sauraient à sa
mise qui il était. Malgré les manières détendues de celui qui se trouvait près
du hongre, c’était un groupe de pillards tatars et Yesugei savait reconnaître
des hommes coriaces prêts à voler tout ce qui leur tombait sous la main.
Quand toute la bande fut à découvert, celui qui avait parlé
le premier reprit :
— J’ai hélé le camp, vieil homme. Nous appliqueras-tu
les lois de l’hospitalité pendant que nous mangeons ?
Yesugei se demanda si ces lois s’appliqueraient encore quand
ils ne seraient plus sous la menace de son arc, mais comme deux d’entre eux le
tenaient aussi sous la menace du leur, il hocha la tête. Les Tatars se
détendirent et leur chef roula des épaules pour les libérer de leur tension.
— Je m’appelle Ulagan, des Tatars, dit le jeune homme
avec un sourire. Tu es des Loups, si tu n’as pas volé ce deel et ce
sabre.
— Je le suis, en effet. Et je vous invite à partager le
mouton et le lait dans mon camp.
— Quel est ton nom ?
— Je m’appelle Eeluk, répondit Yesugei sans hésiter. Si
tu fais un feu, je t’offrirai un peu d’airag noir pour réchauffer ton sang.
Ils se mirent à préparer un repas, avec des gestes lents
pour ne pas s’effrayer mutuellement. Cela prit plus de temps que
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