Le loup des plaines
lancée par un arc puissant pouvait percer le cuir protégeant
sa poitrine. À son signal, ils s’élancèrent à découvert et se dispersèrent.
Tolui courait en guettant le moindre mouvement. Il vit
quelque chose bouger sur sa droite, se jeta au sol en roulant comme un lutteur,
entendit un trait passer en bourdonnant au-dessus de sa tête. Ses deux
compagnons suivirent en zigzaguant, mais Tolui avait vu qu’il n’y avait pas
moyen de franchir le premier rideau d’arbres. Tous les troncs étaient reliés
par d’épais ronciers. Les fils de Yesugei avaient refermé la dernière brèche
derrière eux et Tolui, se sentant vulnérable, eut un instant d’hésitation.
Avant qu’il pût prendre une décision, une flèche le toucha à
la poitrine et le fit chanceler. La douleur fut vive mais il l’ignora, espérant
que sa cuirasse avait empêché le trait de pénétrer trop profondément. Ils ont
de bons arcs, se dit-il.
Les trois guerriers étaient bloqués dans une position
difficile devant la barrière de ronces. Excellents archers, ils étaient
capables d’abattre un oiseau en vol : la situation n’était pas si
désastreuse. Pour tirer, leurs ennemis devaient se montrer, ne fût-ce qu’un
instant, s’exposant à une riposte trop prompte pour être esquivée.
Les fils de Yesugei se rendirent probablement compte du
point faible de leur tactique tandis que le bois devenait silencieux. Tous les
oiseaux s’étaient envolés au moment de l’assaut subit des guerriers et l’on n’entendait
que la respiration haletante d’hommes craignant pour leur vie.
Tolui progressa lentement vers la droite tandis que Basan et
Unegen s’écartaient l’un de l’autre à sa gauche. Les sens en alerte, ils regardaient
autour d’eux, prêts à tuer ou à être tués. Tolui aimait sentir le danger. Sur
une impulsion, il cria soudain à ses ennemis invisibles :
— Je suis Tolui des Loups. Féal d’Eeluk autrefois féal
de Yesugei. Inutile de se battre. Si vous nous accordez la protection des lois
de l’hospitalité, nous retournerons à vos yourtes et je vous délivrerai mon
message.
Il attendit une réponse, même s’il n’espérait pas vraiment
qu’ils tombent aussi facilement dans le piège. Du coin de l’œil, il vit Basan
faire passer son poids d’une jambe sur l’autre et l’entendit murmurer :
— Nous ne pouvons pas rester ici toute la journée…
— Tu veux repartir en fuyant ? répliqua Tolui.
— Maintenant que nous savons qu’ils sont vivants, il
faut porter la nouvelle au khan, il aura peut-être de nouveaux ordres pour nous.
Irrité, Tolui tourna la tête pour répondre et ce mouvement
faillit lui coûter la vie. Il vit un jeune garçon se dresser et bander son arc.
Le monde rugit aux oreilles du guerrier lorsqu’il lâcha sa flèche au moment où
un autre trait le touchait à la poitrine, juste sous la gorge. Il tomba en
arrière, entendit du bruit du côté d’Unegen. Envahi par la colère, Tolui se
releva, encocha une autre flèche.
Basan tira à son tour, au juger. Aucun cri de souffrance ne
monta des fourrés. Tournant la tête vers la gauche, Tolui découvrit Unegen à
terre, la gorge transpercée, la langue pendant mollement hors de sa bouche, les
yeux révulsés.
— Vous avez choisi une mort affreuse et je vous la
donnerai moi-même ! tonna-t-il, furieux.
Un instant, il songea à retourner aux chevaux en courant
mais son orgueil et sa rage le firent rester, résolu à châtier ceux qui osaient
l’attaquer. D’un geste vif, il arracha les flèches plantées dans sa chair.
— Je crois que j’en ai blessé un, dit Basan à voix
basse.
Le silence se fit de nouveau, chargé de la menace d’un nouvel
échange de traits.
— Nous ferions mieux de retourner aux chevaux, reprit
Basan. Nous pourrions contourner la barrière et les attaquer.
Dans un accès de colère, Tolui montra les dents. Là où les
pointes des flèches avaient percé sa cuirasse, son corps palpitait de douleur.
— Tu restes là, ordonna-t-il. Et tu abats tout ce qui
bouge.
Temüdjin était accroupi derrière la barrière de ronces qu’il
avait dressée des mois plus tôt. C’était sa flèche qui s’était plantée dans la
gorge d’Unegen et il en tirait une joie sauvage. Il se souvenait que c’était
lui qui avait remis à Eeluk le sabre de son père. Temüdjin avait souvent rêvé
de prendre sa revanche et la mort d’Unegen, bien qu’elle ne le vengeât qu’en
partie,
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