Le loup des plaines
cachette. S’il prenait un peu d’avance, l’obscurité
le dissimulerait rapidement. Sa famille devait avoir gagné la ravine et s’il s’imposait
un dur effort, il parviendrait à la rejoindre avant l’aube. Tolui et Basan ne
retrouveraient jamais sa trace sur l’herbe sèche et ils seraient contraints de
retourner chercher des renforts. Temüdjin se jura en silence qu’ils ne l’attraperaient
jamais. Il emmènerait les siens loin d’Eeluk et ils commenceraient une nouvelle
vie là où ils seraient en sécurité.
Il s’apprêtait à bondir quand la lumière de la torche
éclaira sa cachette. Il se figea. Il vit le visage de Tolui, qui semblait le
fixer. Temüdjin ne bougea pas, même quand le féal d’Eeluk se mit à écarter les
branches. La lueur de la flamme projetait des ombres mouvantes et le cœur de Temüdjin
se remit à palpiter de frayeur. Il n’osait pas tourner la tête pour regarder
mais il entendait la torche crépiter dans les ronces non loin de ses jambes. Tolui
avait dû l’enfoncer dans la fente pour confirmer ses doutes.
Temüdjin sentit une main lui saisir la cheville et, malgré
ses ruades, la serrer comme une mâchoire d’acier. Il tendit la main vers le
couteau accroché à sa ceinture, le dégaina au moment où Tolui le traînait à
découvert, poussa un cri de peur et de colère.
Le guerrier avait lâché sa torche pour le saisir et Temüdjin
vit à peine l’homme qui empoigna son deel et leva un poing. Une main
énorme écrasait le poignet de la main qui tenait le couteau. Temüdjin gigota, impuissant.
Le poing s’abattit et l’expédia dans un monde plus sombre encore.
Reprenant connaissance, il vit un feu auquel les deux hommes
se chauffaient. Ils l’avaient attaché à un jeune bouleau dont il sentait le
tronc froid dans son dos. Sa bouche était ensanglantée et de sa langue, il
tenta de débarrasser ses lèvres du liquide visqueux qui les recouvrait. Ses
bras étaient liés derrière son dos et il ne prit pas la peine de tenter de
défaire les nœuds. Aucun guerrier des Loups n’aurait laissé un bout de corde qu’il
aurait pu atteindre de ses doigts. Temüdjin comprit qu’il ne pouvait pas s’échapper
et il observa Tolui en souhaitant sa mort avec toute la férocité dont il était
capable. S’il y avait eu un dieu pour exaucer son vœu, le guerrier aurait
disparu dans les flammes.
Il ne savait en revanche que penser de Basan. L’homme était
assis sur le côté, le visage tourné vers le feu. Ils avaient manifestement
décidé de passer une nuit dans les bois plutôt que de retourner dans le noir à
leurs chevaux avec leur captif. Un filet de sang coulant dans la gorge de Temüdjin
provoqua une quinte de toux qui attira l’attention des deux hommes.
Les traits taurins de Tolui s’illuminèrent de plaisir quand
il vit que le prisonnier avait repris conscience. Il se leva aussitôt tandis
que, derrière lui, Basan secouait la tête et détournait le regard.
— Je t’avais dit que je te trouverais, dit le colosse d’un
ton jovial.
En le regardant, Temüdjin se souvint du garçon aux bras et
aux jambes démesurés qu’il avait été. Il cracha sur le sol un jet de salive
ensanglantée, vit le visage de Tolui s’assombrir. Un poignard jailli de nulle
part apparut dans le poing du guerrier et, près du feu, Basan se leva.
— Mon khan te veut vivant mais je pourrais t’arracher
un œil, peut-être, pour la course que tu nous as fait faire, dit Tolui. Qu’en
penses-tu ? Ou te couper la langue en deux comme celle d’un serpent ?
Il fit mine de saisir la joue de Temüdjin et éclata de rire.
— C’est étrange de penser au temps où ton père était
khan, hein ? poursuivit-il, agitant son couteau près des yeux du
prisonnier. Je vous observais, Bekter et toi, en me demandant ce que vous aviez
de particulier, ce qui vous rendait meilleurs que moi.
Il sourit, se trouva une excuse :
— J’étais très jeune, à l’époque. On ne peut pas voir
ce qui fait d’un homme un chef et d’un autre un esclave. C’est là-dedans, dit-il
en se tapotant la poitrine.
Temüdjin haussa les sourcils, écœuré par ces fanfaronnades. Il
émanait de Tolui une forte odeur de graisse de mouton rance et, en inhalant ces
effluves, Temüdjin revit l’image d’un aigle battant des ailes devant son visage.
Soudain, sa peur disparut.
— Pas en toi, Tolui, déclara-t-il lentement en
regardant droit dans les yeux l’homme massif qui le menaçait.
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